L’Europe envisage un retrait du Traité sur la Charte de l’énergie

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Euractiv | 17 mai 2022

L’Europe envisage un retrait du Traité sur la Charte de l’énergie

par Frédéric Simon

Davantage d’États membres de l’Union européenne ont manifesté leur impatience à l’égard de la réforme en cours du Traité sur la Charte de l’énergie (TCE) qui, selon ses détracteurs, entrave les efforts internationaux visant à éliminer progressivement les combustibles fossiles. C’est ce qu’il ressort des câbles diplomatiques ayant fait l’objet d’une fuite qui ont pu être consultés par EURACTIV.

L’Allemagne, les Pays-Bas, la Pologne et l’Espagne sont agacés par les tentatives de réforme du TCE et ont exprimé des doutes sur la capacité de l’UE à remplir son mandat consistant à aligner le Traité avec l’Accord de Paris sur le changement climatique.

Les quatre États ont invité la Commission européenne, qui négocie au nom des 27 États membres de l’UE, à évaluer comment un retrait coordonné pourrait être initié conformément aux procédures de l’UE et à se préparer à « d’éventuels scénarios de sortie en temps voulu », révèlent les câbles divulgués.

« L’Espagne a également indiqué clairement qu’elle envisagerait un scénario de sortie, car elle ne voit pas comment le Traité sur la Charte de l’énergie pourrait être adapté à l’Accord de Paris », indiquent les câbles divulgués, qui ont été traduits en anglais à partir d’une langue européenne non précisée.

Le Japon reste un obstacle important dans les négociations et a « fait des pas en arrière dans la définition de l’investissement et du développement durable », qui sont les pierres angulaires juridiques de l’architecture du Traité, indiquent les câbles.

Avec l’Azerbaïdjan, Tokyo « résiste également à la mention des droits des travailleurs » dans la réforme du Traité et s’oppose aux modifications de la définition de l’« activité économique », qui est l’aspect le plus controversé car l’UE a l’intention de supprimer progressivement la protection des investissements dans les combustibles fossiles.

Signé en 1994 pour protéger les investissements transfrontaliers dans le secteur de l’énergie, le Traité sur la Charte de l’énergie fait l’objet de critiques grandissantes de la part des groupes environnementaux et des gouvernements qui estiment qu’il entrave les efforts des pays pour éliminer progressivement les combustibles fossiles.

L’accord est controversé parce qu’il permet aux investisseurs étrangers de demander une compensation financière aux gouvernements si les changements de la politique énergétique ont un impact négatif sur leurs investissements. Les compagnies d’électricité RWE et Uniper ont utilisé le Traité pour poursuivre le gouvernement néerlandais concernant son projet d’élimination progressive du charbon.

Les discussions en vue de réformer le Traité ont commencé en juillet 2020 mais elles n’ont pas beaucoup progressé depuis.

La réforme de la Charte est délicate car elle nécessite l’unanimité de ses quelque 50 signataires, qui comprennent la quasi-totalité des pays de l’UE et l’Union européenne en tant qu’organisation internationale.

La France et l’Espagne ont été les plus fervents partisans d’une réforme radicale et ont appelé les États membres à quitter conjointement la Charte si les négociations ne progressaient pas d’ici à la fin de l’année 2021.

Bien que le dernier cycle de négociations ait amélioré la situation, « les discussions sont restées difficiles et les progrès ont été moindres que ce qu’espérait la Commission européenne », indiquent les câbles.

L’exécutif européen tente désormais de trouver un compromis bilatéral avec le Japon, impliquant un délai d’élimination progressive de 15 ans pour les investissements existants.

La Commission espère que les autres parties prenantes suivront ces arrangements et parviendront à un accord politique le 24 juin lors d’une conférence ad hoc sur la Charte qui se tiendra à Bruxelles. La conférence sera précédée, le 23 juin, d’une réunion d’une journée du groupe de modernisation du Traité, qui pourrait aplanir les désaccords de dernière minute.

Les défenseurs de l’environnement, quant à eux, font monter la pression sur la Commission en organisant une manifestation à Bruxelles dans la journée, au rond-point Schumann, au cœur du quartier européen.

« Le TCE, qui détruit les mesures climatiques, ne pourra jamais être rendu compatible avec l’Accord de Paris et le Pacte vert pour l’Europe [Green Deal] », a déclaré Paul de Clerck, un militant des Friends of the Earth Europe.

Il a dénoncé le compromis provisoire en cours de négociation avec le Japon, en déclarant : « L’accord attendu prolongera la protection des investissements dans les combustibles fossiles pendant au moins une autre décennie, ce qui est incompatible avec l’Accord de Paris ».

« La seule option judicieuse pour que l’UE et les États membres assument leurs responsabilités en matière de climat est de se retirer de ce TCE toxique. »

> Lire le câble diplomatique ci-dessous (en anglais) ou le télécharger ici.

source: Euractiv