Des Autochtones s’opposent à l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Équateur

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Radio-Canada | 11 février 2025

Des Autochtones s’opposent à l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Équateur

La plus grande organisation autochtone de l’Équateur s’engage à lutter contre un accord de libre-échange qui vient d’être conclu avec le Canada, avertissant que cette entente pourrait encourager les violations des droits de la personne dans ce pays d’Amérique du Sud aux écosystèmes et aux cultures très diversifiés.

"Cette nouvelle est très préoccupante", a déclaré Zenaida Yasacama, présidente par intérim de la Confédération des nationalités autochtones de l’Équateur (CONAIE), qui représente 10 000 communautés, lors d’un entretien par téléconférence depuis Quito.

"Nous n’avons pas été consultés en tant que peuples autochtones et nous pensons que ce processus constitue une violation de nos droits", a-t-elle déclaré à CBC Indigenous.

Le Canada et l’Équateur ont annoncé la fin des négociations la semaine dernière. Face aux menaces de droits de douane écrasants de la part des États-Unis, Affaires mondiales Canada vante l’élimination des barrières commerciales sur 1,4 milliard de dollars de marchandises et la diversification des partenariats.

Les opposants affirment toutefois que cette explication est opportuniste et que l’accord profiterait principalement au secteur minier canadien, principale source des 4,4 milliards de dollars d’investissements canadiens directs en Équateur en 2023.

"Cet accord commercial est, à notre avis, axé sur l’expansion de l’activité minière en Équateur, ce qui aurait de nombreux effets destructeurs", a déclaré Mme Yasacama, qui appartient au peuple kichwa de Pakayaku, dans l’Amazonie équatorienne.

“C’est notre grande préoccupation et c’est pourquoi nous résisterons, comme nous le faisons depuis plus de 500 ans. Nous pensons qu’il y aura davantage d’assassinats et de criminalisation au fur et à mesure que nous nous engagerons dans la résistance.” Zenaida Yasacama, présidente par intérim de la Confédération des nationalités autochtones de l’Équateur.

L’accord doit encore être ratifié.

Contre "les politiques extractives et néolibérales"

En Équateur, des élections générales ont eu lieu dimanche, mais n’ont pas permis de dégager un vainqueur clair, ce qui a conduit à un second tour prévu pour avril.

La CONAIE s’est opposée à ce qu’elle appelle "les politiques extractives et néolibérales" du président sortant Daniel Noboa, de tendance conservatrice.

M. Noboa, fils d’un riche magnat de l’exportation de bananes, a cherché à attirer les investissements étrangers en renforçant la sécurité et en luttant contre les groupes criminels organisés, ce qui a donné lieu à des rapports faisant état de graves violations des droits de la personne.

"Il est très triste et lamentable, en fait, que cet accord ait été négocié", a déclaré Hortencia Zhagüi par Zoom depuis son domicile de la province d’Azuay, dans le sud de l’Équateur.

"Nos droits ont été violés, nos droits en vertu de notre propre Constitution. Le président est passé par-dessus nos têtes, dans notre dos, il a négocié secrètement, de manière cachée."

Mme Zhagüi est une représentante du conseil des administrateurs de l’eau potable de Victoria del Portete et Tarqui. Le groupe est préoccupé par les opérations minières qui risquent de lixivier de l’arsenic dans les eaux souterraines de la zone humide de la province d’Azuay.

“Il est faux de dire que le Canada respecte les droits des Autochtones, les peuples autochtones et les droits de la personne. C’est faux, car nous vivons une autre réalité.” Hortencia Zhagüi

Zenaida Yasacama et Hortencia Zhagüi faisaient partie d’une délégation de femmes équatoriennes qui s’est rendue au Canada (Nouvelle fenêtre) à l’automne dernier, mais elles ne savent toujours pas si les dirigeants canadiens ont donné suite à leurs requêtes.

Un porte-parole de la ministre du Commerce, Mary Ng, n’a pas répondu aux demandes d’entrevue. Dans une déclaration, le ministère des Affaires mondiales a indiqué que l’accord comprenait un chapitre sur les peuples autochtones et le commerce "qui vise à faire respecter et à promouvoir les droits des peuples autochtones en vertu de la législation applicable".

L’accord comprend également des clauses engageant le Canada et l’Équateur à ne pas affaiblir ou réduire les droits des travailleurs, des femmes ou des peuples autochtones, selon le communiqué.

Inquiétudes concernant l’arbitrage

Les groupes de la société civile tirent également la sonnette d’alarme quant à l’inclusion d’un système controversé d’arbitrage international utilisé dans le passé par des entreprises canadiennes, dont certaines qui ont été accusées de violation des droits de la personne.

"Nous sommes scandalisés", a déclaré Viviana Herrera, coordinatrice du programme latino-américain de Mining Watch Canada. "Le document publié est très clair : cet accord vise à protéger les investissements et non les personnes."

Connu sous le nom de Règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE), le système d’arbitrage permettrait aux entreprises canadiennes de poursuivre l’Équateur devant des tribunaux privés plutôt que devant les tribunaux nationaux.

L’Équateur a interdit ce système en 2008 et l’a de nouveau rejeté lors d’un référendum populaire en 2024. Le système est considéré comme partial et injuste en Équateur à la suite d’une série de mauvaises expériences, a déclaré Stuart Trew, chercheur en commerce au Centre canadien de politiques alternatives.

"Il s’agit vraiment d’un système antidémocratique, très peu responsable, qui doit disparaître", a-t-il indiqué lors d’une entrevue, jugeant décevant que le Canada l’accepte.

"Cela met un doigt sur la balance au nom des entreprises en cas de résistance – ce qui est bien sûr le cas en Équateur. La résistance à l’exploitation minière est massive. Cela ne peut que mal tourner pour les États. Il en résultera des procès en masse, en masse."

À la fin des années 2000, par exemple, le gouvernement équatorien a révoqué la licence de la société Copper Mesa Mining, basée à Vancouver, accusée d’avoir tenté de faire avancer un projet en recourant à l’intimidation, à la violence et à des subterfuges.

Copper Mesa a alors intenté un procès à l’Équateur au moyen du système d’arbitrage. Bien qu’il ait conclu que des cadres supérieurs de Quito étaient coupables d’avoir dirigé une campagne organisée de violence criminelle contre des groupes antimines, un tribunal a accordé à l’entreprise une compensation de 24 millions de dollars américains en 2016.

Dans une autre affaire, l’Équateur a annulé un contrat avec l’entreprise américaine Occidental Petroleum Corp. au motif qu’elle avait vendu illégalement une participation importante dans le projet à une entreprise canadienne. Occidental a intenté une procédure d’arbitrage et a obtenu 1,77 milliard de dollars en 2012.

Selon M. Trew, la menace de ces poursuites énormes et préjudiciables donnerait aux entreprises canadiennes une grande influence lorsque les projets ne se déroulent pas comme elles le souhaitent.

D’après un texte de Brett Forester, de CBC Indigenous

source: Radio-Canada