Radio-Canada | 21 octobre 2024
GNL Québec : la poursuite de 20 G$ contre le gouvernement canadien sera entendue en 2025
par Myriam Gauthier
La poursuite de 20 milliards de dollars américains des promoteurs de GNL Québec contre le gouvernement canadien sera entendue en 2025. Le Canada plaide pour sa part que le tribunal ne devrait pas être saisi de cette affaire.
L’audience à huis clos doit durer environ deux semaines au début du mois de décembre 2025, selon ce qui est prévu au calendrier.
La demande d’arbitrage a été déposée en février 2023 devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI).
La compagnie Ruby River Capital LLC s’est tournée vers cette instance privée du Groupe de la Banque mondiale afin d’obtenir une indemnisation pour le rejet en 2022 par Ottawa de son projet d’usine de liquéfaction de gaz naturel qui était projeté à Saguenay.
Le projet de GNL Québec était évalué au total à 14 milliards de dollars. Un gazoduc de 780 kilomètres reliant le nord-est de l’Ontario devait acheminer du gaz naturel de l’Ouest canadien jusqu’au terminal de liquéfaction de Saguenay.
Ruby River Capital LLC appartient à deux entreprises qui appartiennent aux promoteurs de GNL Québec, Jim Illich et Jim Breyer.
GNL Québec considère que le rejet de son projet est arbitraire et qu’il contrevient à certains articles de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM).
Des dispositions qui ne sont plus en vigueur, selon Ottawa
Le gouvernement canadien a déposé cet été un mémoire dans lequel il fait valoir ses arguments. Ottawa soutient dans le document de plus de 300 pages que le dossier ne relève pas du CIRDI.
Le gouvernement canadien plaide que le remplacement de l’ALENA par l’ACEUM, en juillet 2020, a "éteint" les dispositions de l’ALENA invoquées par GNL Québec dans sa demande d’arbitrage et qu’elles étaient donc expirées.
Ottawa soutient également que le rejet par son gouvernement et par celui du Québec du projet de terminal de liquéfaction, que l’entreprise nommait Énergie Saguenay, a été fait dans l’intérêt public.
“Le rejet du projet Énergie Saguenay était une mesure prise de bonne foi, relevait du mandat démocratique des gouvernements du Canada et du Québec et était motivé par les dangers associés aux émissions de GES, les risques liés au projet pour les populations d’espèces marines et les impacts sur les groupes autochtones pertinents”. Extrait du mémoire déposé par le gouvernement canadien
GNL Québec n’a pas voulu commenter le dossier, dimanche.
Une poursuite payée par un fonds financier externe
Le chercheur Colin Pratte, de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), déplore que cette poursuite se fasse à coût nul pour les promoteurs de GNL Québec, via un fonds financier externe.
La poursuite déposée en février 2023 précise que les fonds reçus pour mener la poursuite proviennent d’un financement par des tiers. L’identité des personnes et des entités qui soutiennent ce fonds n’est pas précisée.
"Cette poursuite est financée par un fonds spéculatif tiers externe au litige, qui s’acquitte des frais juridiques de GNL Québec, en échange d’une proportion des dommages et intérêts, éventuellement ou possiblement obtenus par l’entreprise", explique M. Pratte.
Colin Pratte lors d’une entrevue en visioconférence avec, à l’arrière-plan, une bibliothèque remplie de livres.
Cette poursuite, en contrepartie, représente des sommes importantes pour les contribuables canadiens, soulève-t-il.
"À ce stade-ci, GNL Québec n’a à défrayer aucun coût juridique, puisqu’ils sont couverts par ce fonds financier."
“C’est donc une poursuite qui se fait à coût nul pour GNL Québec, comparativement au Canada qui, lui, doit se défendre au coût de plusieurs millions de dollars de frais juridiques”. Colin Pratte, chercheur à l’IRIS
Le chercheur souligne que cette poursuite est la plus importante de l’histoire de l’ALENA. Il rappelle que les tribunaux comme le CIRDI sont critiqués.
"Ces instances de poursuites se déroulent dans des tribunaux parallèles à l’État. Ce sont des instances internationales qui sont soumises à différentes critiques puisqu’on prétend qu’elles minent la capacité démocratique et des États", souligne-t-il.
Un possible règlement à l’amiable
Le député de Jonquière, Mario Simard, qui est porte-parole en matière de Ressources naturelles pour le Bloc québécois, craint que cette poursuite coûte cher aux contribuables, même si un règlement à l’amiable survient.
Plusieurs dizaines de milliers de dollars pourraient être attribués dans le cadre d’une entente, avance-t-il.
"J’ai l’impression que ce que cherchent à faire les fonds financiers, c’est à récupérer une partie de l’argent qui a été mis pour déployer le projet, pour développer le projet."
“Ce qu’ils cherchent, c’est une entente. Si ça, ça intervient, bien c’est quand même nous autres qui allons payer collectivement pour de mauvaises décisions d’affaires de fonds d’investissement”. Mario Simard, député bloquiste de Jonquière
"C’est de l’argent public qui n’ira pas dans la construction de logements, qui n’ira pas dans le réseau de la santé, qui n’ira pas pour servir les Québécois et les Canadiens", ajoute-t-il.
Le député déplore que GNL Québec ne respecte pas ce qui avait été affirmé lors du processus d’évaluation environnementale.
"GNL Québec nous indiquait, lorsqu’il était en opération charme, qu’ils allaient respecter la décision du BAPE [Bureau d’audiences publiques sur l’environnement], nous indiquait également qu’il n’y avait pas d’argent public qui allait être investi dans ce projet-là. Aujourd’hui, on voit un bien mauvais citoyen corporatif", soulève-t-il.