par bilaterals.org | octobre 2024
"Investissements mafieux contre le Honduras". Un nouveau rapport expose les exigences des entreprises après le coup d’État
Le récent rapport "Investissements mafieux contre le Honduras" traite de la situation préoccupante dans laquelle se trouve le pays d’Amérique centrale face aux procès intentés par des sociétés transnationales devant des tribunaux d’arbitrage internationaux. L’analyse, préparée par l’Institute for Policy Studies (IPS), le Honduras Solidarity Network (HSN), Terra Justa et le Transnational Institute (TNI), révèle comment les investissements réalisés pendant la période de la narco-dictature, après le coup d’État de 2009, ont déclenché une avalanche de procès de plusieurs millions de dollars au cours des dernières années.
Un tableau alarmant
Depuis le coup d’État de 2009, le Honduras a fait l’objet de dix-neuf demandes d’arbitrage international. Rien qu’entre 2023 et août 2024, le Honduras a reçu quatorze demandes auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) de la Banque mondiale. L’ampleur de ces plaintes est alarmante, car elles sont liées à des projets d’investissement qui ont pour la plupart été mis en place de manière irrégulière pendant la période de la narco-dictature, dans un environnement marqué par la corruption et la violation des droits de l’homme et de l’environnement.
Les entreprises à l’origine de ces poursuites ont en commun le fait que leurs investissements se sont heurtés à la résistance des communautés locales qui ont dénoncé la dépossession des terres, la contamination des ressources naturelles et l’atteinte à leur souveraineté alimentaire. Aujourd’hui, cependant, ces mêmes entreprises utilisent le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS) pour réclamer des compensations de plusieurs millions de dollars, entravant ainsi la capacité de l’État hondurien à prendre des mesures au nom de la citoyenneté.
Justice parallèle et procès millionaires
Le mécanisme ISDS des traités d’investissement et de commerce permet aux entreprises étrangères de contourner les tribunaux nationaux et de s’adresser directement aux tribunaux d’arbitrage internationaux. Ce système, qualifié de "justice parallèle", a permis aux entreprises d’exercer plus facilement des pressions sur les politiques publiques au Honduras, en gelant des réglementations essentielles dans des domaines tels que les droits humains, l’environnement et le bien-être public.
Parmi les procès les plus coûteux figure celui intenté par Honduras Prospera Inc., qui réclame plus de 10,775 millions de dollars pour mettre fin aux efforts du gouvernement visant à annuler les zones d’emploi et de développement économique (ZEDE). Ce montant équivaut à près de trois fois le plan d’investissement public approuvé pour 2024. Prospera, bien qu’elle ne remplisse pas les conditions légales pour développer une ZEDE, fait pression sur le gouvernement avec cette demande pour qu’il lui permette de continuer à exister dans le pays.
Impact sur les politiques publiques
Les procès intentés par les investisseurs n’affectent pas seulement les finances de l’État hondurien, mais cherchent également à influencer les politiques publiques, un phénomène connu sous le nom d’"effet de dissuasion" ou de "gel" des réglementations. Par exemple, nombre de ces poursuites visent à ralentir les efforts du gouvernement actuel pour reprendre la Compagnie nationale d’électricité (ENEE) ou pour reprendre le contrôle des infrastructures aéroportuaires, entre autres mesures.
En outre, les projets énergétiques et miniers, auxquels les communautés locales s’opposent fortement, continuent de priver les populations de ressources vitales. Le projet d’énergie solaire « Los Prados », développé par des investisseurs norvégiens, en est un bon exemple. Il se heurte à la résistance des communautés locales qui s’inquiètent de l’impact sur leurs ressources en eau et leur souveraineté alimentaire. Les entreprises concernées ont intenté deux procès pour un montant total de 400 millions de dollars.
Le Honduras et le CIRDI : un premier pas vers la réforme
En février 2024, le Honduras a franchi une étape importante en signant sa sortie du CIRDI, le principal forum d’arbitrage pour le règlement des différends entre investisseurs et États. Bien que cette décision soit cruciale, elle n’est pas suffisante. Le Honduras reste exposé aux poursuites judiciaires des entreprises en raison de sa participation à de nombreux accords d’investissement et de libre-échange, ainsi que de la loi sur l’investissement de 2011, qui accorde des privilèges déraisonnables aux investisseurs étrangers.
Le rapport souligne que la sortie du CIRDI doit s’accompagner d’un examen approfondi de la législation nationale, des traités internationaux et des contrats afin de garantir que le pays ne continue pas à être soumis à un système qui privilégie les entreprises au détriment des droits du peuple hondurien.
Recommandations pour un Honduras souverain
Le rapport conclut par une série de recommandations pour que le Honduras s’oriente vers un modèle de développement plus juste et plus équitable, sans être subordonné aux intérêts des entreprises :
1. Révision des traités internationaux : les traités de libre-échange et de protection des investissements qui permettent aux sociétés transnationales de poursuivre l’État hondurien devant les tribunaux internationaux doivent être évalués et réformés.
2. Renforcer la justice nationale : l’État doit renforcer ses systèmes judiciaires et réglementaires nationaux afin de garantir que les litiges soient résolus dans le cadre de la législation hondurienne, sans avoir recours à des forums internationaux favorables aux entreprises.
3. Accompagnement des communautés affectées : les mouvements sociaux et les communautés affectées doivent être soutenus dans leur lutte contre les projets d’extraction et d’énergie qui menacent leur bien-être et leur droit au territoire.
4. Créer une coalition nationale : il est essentiel de créer une coalition non partisane qui rassemble les mouvements sociaux, les communautés et d’autres secteurs de la société hondurienne pour faire face au système de protection des investissements et aux demandes actuelles et futures.
Lien vers le rapport en espagnol et en anglais
Ce rapport a été réalisé et publié par une équipe de personnes de l’Institute for Policy Studies (IPS), du Transnational Institute (TNI), de Terra Justa et du Honduras Solidarity Network (HSN) : Luciana Ghiotto, Jen Moore, Aldo Orellana López, Karen Spring et Manuel Pérez Rocha.