Carlyle vs Maroc: Voici les arguments du Royaume au CIRDI

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Medias24 | 24 février 2020

Carlyle vs Maroc: Voici les arguments du Royaume au CIRDI

Le Maroc ne communique jamais ou très rarement sur ses litiges internationaux. La même discrétion est observée dans la procédure d’arbitrage l’opposant au groupe Carlyle, instruite par le Centre international de règlement des différends relatifs aux investissements, instance rattachée à la Banque mondiale (Washington).

De ce conflit ouvert en août 2018, on connait surtout la version et les arguments de Carlyle. Le fonds d’investissement américain est l’initiateur - avec plusieurs de ses filiales - de la demande d’arbitrage. Quid de la partie marocaine ? La procédure n’a pas encore entamé le débat sur « le fond de l’affaire », étape suspendue suite à une demande « de bifurcation » initiée par le Maroc. Le contenu de cette requête, introduite en octobre 2019, renseigne néanmoins sur la stratégie de défense adoptée par le Royaume.

La Samir, raffinerie marocaine en liquidation, constitue l’élément central du différend. Le groupe Carlyle et ses entités affirment « avoir passé un contrat » avec le raffineur, selon lequel « un certain nombre de sociétés ont financé l’acquisition par SAMIR d’hydrocarbures à raffiner. » Or, suite à la mise en liquidation de la SAMIR, Carlyle allègue maintenant « que les hydrocarbures et/ou les fonds dans lesquels ils détiendraient prétendument un intérêt ont été expropriés par le Maroc », rappelle le Royaume dans sa requête de bifurcation.

En substance, les demandeurs accusent le gouvernement marocain d’avoir procédé à la "cession", la "saisie" et la "collecte" de son pétrole brut et de produits pétroliers raffinés stockés dans les citernes de la Samir. Ces actions constitueraient selon les requérants "des violations des obligations du Maroc en vertu du traité de libre-échange conclu entre le Royaume et les Etats-Unis en 2006, ce qui a privé les demandeurs de leurs investissements" au Maroc. L’entité américaine fait valoir ce traité qui engage les deux pays à protéger leurs investisseurs mutuels. Le recours au CIRDI en cas de litige fait partie de cette protection.

« Il est tristement évident que les demandeurs n’ont pas fourni au Maroc ou au tribunal un seul document établissant qu’ils possédaient ou contrôlaient, directement ou indirectement, leurs investissements présumés » sur le territoire marocain, rétorque le Royaume. Raison pour laquelle la compétence du CIRDI est contestée.

Comme étaye-t-il ce postulat ?

Dans cette procédure, le Maroc explique qu’il existe « sept demandeurs » : The Carlyle Group LP, Carlyle Investment Management LLC («CIM»), Carlyle Commodity Management LLC («CCM»), TC Group LLC, TC Group Investment Holdings LP, Celadon Commodities Fund LP et Celadon Partners LLC.

En fait, aucune de ces entités « n’a investi directement dans SAMIR » et donc au Maroc. « Au contraire, toutes les affaires avec SAMIR semblent avoir été effectuées via des entités situées aux îles Caïmans ». Il s’agit de VMF Special Purchase Vehicle–VMF Q1 Segregated Portfolio16 (“VMF”) et de Carlyle Global Market Strategies Commodities Funding 2014-1 Ltd.

Si Carlyle et ses entités affirment qu’ils détiennent ou contrôlent directement ou indirectement « les entités caïmanes », « aucune preuve réelle de propriété ou de contrôle (par exemple sous la forme de certificats d’actions, de fiducie ou actes de partenariat) n’a été produite », selon le Maroc.

La même source ajoute qu’aucun des demandeurs domiciliés aux États-Unis « ne détient directement les investissements revendiqués - c’est-à-dire les accords d’investissement et les produits pétroliers. »

Ces actifs semblent au contraire «appartenir aux entités basées aux Caïmans ». Pour le Maroc, ce sont ces sociétés qui ont investi « directement » avec la Samir, en étant « parties aux accords d’investissement et aux accords de transactions individuelles, et qui étaient responsables du paiement des différents fournisseurs pour les expéditions de produits ».

Des contradictions dans la position de Carlyle ?

Le groupe américain se prévaut-il de ses propres turpitudes ? C’est ce que laisse suggérer le défendeur. Dans son mémoire, le Royaume explique que les accords contractuels avec SAMIR ont été conclus alors que la raffinerie « était insolvable ». Situées entre février et aout 2015, les transactions concernées ont eu lieu alors que le raffineur était en cessation de paiement. Une approche à « haut risque » qui « n’a rien à voir avec le Maroc ».

Devant le CIRDI, Carlyle affirme aussi que le gouvernement marocain a « exproprié son pétrole ». Or, « dans le cadre d’un litige devant la justice américaine contre leurs assureurs », le même groupe « impute carrément la faute à la SAMIR » qu’elle accuse d’avoir « volé » son pétrole. On retrouve le même argumentaire dans les actions en restitution de ce pétrole, initiées par Carlyle devant les juridictions marocaines.

Les demandeurs allèguent en outre avoir été "informés par de nombreuses sources" que le Maroc n’a pas négocié « de bonne foi » avec SAMIR. Il y a également une allégation non étayée selon laquelle SAMIR a été «contrainte» à la liquidation et que le gouvernement a imposé des demandes «déraisonnablement restrictives» d’achat de SAMIR par un tiers.

Pour le Maroc, ces allégations sont basées sur des « rumeurs infondées », et qui de surcroît « portent sur des actions du Maroc contre l’un de ses propres ressortissants (SAMIR), sur lequel les Demandeurs n’ont aucun droit ni intérêts et qu’ils ne contrôlent pas », rétorque le Royaume.

En effet, « l’Accord de libre-échange ne fournit pas de motif d’action à un créancier pour réclamer des dommages et intérêts pour mauvais traitements allégués d’une société tierce qui est ressortissante de l’État hôte », tranche la partie défenderesse.

source: Medias24