Al-Ahram | 26 April 2017
Arbitrage en Afrique : A la recherche d’un équilibre
La résolution des conflits entre investisseurs et Etats finit souvent en faveur des investisseurs. Ce type de conflit survient le plus souvent entre des investisseurs provenant de pays développés et des gouvernements de pays en développement. Le mécanisme actuel d’arbitrage international fait l’objet de nombreuses critiques car il empêche les Etats africains de librement modifier leurs lois nationales.
L’arbitrage est un mécanisme privé de règlement des différends qui a des effets similaires à la décision d’un juge national. La procédure arbitrale peut trouver son origine dans un contrat entre personnes privées ou dans un traité quand il s’agit d’un différend opposant un Etat à un investisseur.
Fidèle Masengo, secrétaire général du centre d’arbitrage international de Kigali au Rwanda, a expliqué, lors d’une récente conférence organisée par l’Université SOAS de Londres et le Centre régional d’arbitrage du Caire (CRCICA) dans les locaux du centre à Zamalek, que « l’arbitrage est un facteur d’attractivité des investissements et du commerce, car il s’agit d’un mode de règlement des différends rapide et sur mesure permettant d’éviter les blocages potentiels de la justice étatique ».
Un mécanisme arbitral efficace contribue donc à créer un environnement juridique favorable aux investissements (voir encadré pour la situation égyptienne). Les Etats africains ont signé de nombreux Traités Bilatéraux relatifs aux Investissements (TBI). Les TBI renferment des standards de protection élevés au bénéfice des investisseurs, garantissant le recours à l’arbitrage et établissant généralement la compétence du Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI), spécialisé dans le règlement des différends entre investisseurs et Etats. Selon les statistiques émises par le CIRDI, fin 2014, les Etats membres du COMESA (Marché commun de l’Afrique orientale et australe) et de la SADC (Communauté de développement d’Afrique australe) étaient impliqués dans 60 arbitrages CIRDI, et en 2015, 65 % des litiges entre investisseurs et Etats ont été tranchés devant le CIRDI, auquel on reproche le manque de transparence et de partialité.
Rukia Baruti, avocate et membre du projet de recherche sur les investissements étrangers en Afrique, a souligné lors de la conférence le rôle des Etats africains dans le développement de l’arbitrage : « La signature de TBI n’a pas été suivie par une augmentation de la quantité des investissements dans les régions COMESA et SADC, mais plutôt par une augmentation des arbitrages CIRDI initiés par les investisseurs contre les Etats africains ». La situation semble d’autant plus problématique que les Etats perdent souvent ces procès, ce qui pèse lourdement sur leurs économies. Rukia Baruti ajoute que la situation « dissuade les Etats d’adopter de nouvelles lois ou politiques qui permettraient d’améliorer leurs économies et la vie de leurs populations ». En effet, les Etats sont souvent condamnés du fait d’un changement de loi, les transitions politiques — telles que le Printemps arabe — provoquant ainsi le déclenchement de nombreuses procédures, car les nouveaux gouvernements veulent revenir sur les décisions de leurs prédécesseurs. Par exemple, après la chute du président Moubarak en Egypte, l’Etat a fait face à un arbitrage CIRDI du fait de la vente d’un terrain par un ancien ministre en dessous du prix du marché. Le mécanisme des TBI établissant la compétence du CIRDI, créé à l’initiative de la Banque mondiale et basé à Washington comme forum de règlement des différends, fait perdre aux Etats tout contrôle sur le développement des arbitrages relatifs aux investissements, lesquels sont majoritairement confiés à des avocats et arbitres non africains, ce qui est également un facteur de partialité.
Etats africains, acteurs du changement
En réaction à cette situation de déséquilibre devant le CIRDI, les Etats africains ont commencé à modifier les clauses de règlement des différends présents dans leurs accords de libre-échange et relatifs aux investissements.
Les Etats africains ont développé des instruments régionaux relatifs aux investissements qui comprennent des clauses de règlement des différends. Ceux-ci entendent repenser les droits et les obligations des Etats et des investisseurs afin de trouver un équilibre entre les intérêts des deux parties, notamment en modifiant certains standards de protection et en ouvrant le droit aux Etats d’attaquer les investisseurs. Le COMESA a ainsi adopté un accord sur les investissements (CCIA Agreement), en 2007, et le SADC un protocole sur la finance et l’investissement, en 2006.
La potentielle création d’une zone de libre-échange africaine pourrait permettre d’adopter un mécanisme de règlement des différends unifié et innovant. Une telle zone est déjà en négociation après qu’un accord tripartite de libre-échange (TFTA) eut été signé, en juin 2015 à Charm Al-Cheikh, entre les Etats membres du COMESA, de la SADC et de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC). Ces Etats totalisent 55 % du PIB africain. Les leaders du projet TFTA ont annoncé vouloir établir une zone de libre-échange continentale (Continental Free Trade Agreement) incluant tous les Etats africains. La clause de règlement des différends du traité de libre-échange continental pourrait établir la compétence d’une cour africaine sur les investissements au lieu du traditionnel CIRDI.
La création d’une telle institution a été proposée par de nombreux experts africains au cours de la conférence qui s’est tenue au CRCICA, et le concept de la cour internationale a également été proposé par l’UNCTAD. Une telle cour est déjà envisagée dans l’accord de libre-échange entre le Canada et l’UE (CETA). On y a ainsi proposé la création d’une cour permanente d’arbitrage composée de 15 juges dont 3 seraient tirés au sort lorsqu’une affaire est soumise à la cour, au lieu d’être choisis par les parties. Un appel sur le fond de la décision serait également possible, alors que cette option n’est aujourd’hui possible que dans des cas très limités, comme la partialité des arbitres ou la contradiction de la décision avec l’ordre public. Une cour régionale africaine pour les investissements reprenant le modèle hybride du CETA pourrait ainsi être créée. Une telle cour pourrait être chargée de l’interprétation des nombreux accords relatifs aux investissements signés par les Etats africains, proposant ainsi un régime unifié et une jurisprudence que pourront utiliser les investisseurs pour établir leurs stratégies.
La création d’une institution africaine serait avantageuse notamment en permettant aux experts africains — tant arbitres qu’avocats — d’être plus présents dans le cadre des procédures impliquant leurs Etats d’origine. La mise en place de ces accords et mécanismes serait un pas en avant important vers l’indépendance économique de l’Afrique .