Quand Philip Morris empêche le Togo de lutter contre le tabagisme

Franceinfo | 5 décembre 2017

Comment la simple menace d’un arbitrage international peut suffire à dissuader un pays de s’opposer aux intérêts d’une multinationale, c’est le "chilling effect". Comment le cigarettier Philip Morris a fait reculer un petit Etat africain sur la lutte antitabac, c’est ce que raconte cet extrait d’"Envoyé spécial".

Dès 2010, le Togo, pays pionnier dans la lutte contre le tabagisme, a failli adopter le paquet de cigarettes neutre : sans logo, et avec photos explicites. La législation était toute prête. Mais Philip Morris a fait annuler ses dispositions. Cet objectif de santé publique contrevenait évidemment aux intérêts financiers de l’industriel du tabac… Voici comment, avec une menace de procédure d’arbitrage international, le cigarettier a fait reculer l’Etat africain.

"Envoyé spécial" diffusait le 16 novembre 2017 une enquête sur la justice opaque de ces tribunaux d’arbitrage international. Les multinationales étrangères qui s’estiment lésées par la décision d’un Etat y ont de plus en plus recours.

Le cigarettier a carrément adressé au gouvernement togolais une lettre considérée comme une "atteinte à la souveraineté d’un Etat", dont le "contenu très arrogant" indigne Fabrice Ebeh, directeur de la principale ONG de lutte antitabac. Menaçant d’exiger des "dédommagements considérables", le courrier semble en outre affirmer la primauté des intérêts commerciaux (ou "droits de propriété intellectuelle") sur la santé des Togolais.

"Chilling effect"

A l’appui de ses avertissements, Philip Morris cite un traité bilatéral vieux de cinquante ans entre le Togo et la Suisse (lieu de son siège européen). Or, cet accord ne contient pas de mécanisme de règlement des différends entre un investisseur et un Etat. Philipp Morris n’aurait donc pas pu porter plainte contre le Togo. Pourtant, la menace était prise pour réelle : l’Etat togolais estimait que Philipp Morris pouvait intenter une action devant un tribunal international et n’était pas sûr de sortir gagnant de ces procédures très onéreuses. Entre 10 et 30 millions, selon Fabrice Ebeh, juriste de formation. "Un montant qui permet de construire plusieurs écoles, un centre de santé, des latrines, développe-t-il. [Philip Morris sait très bien qu’]un Etat avec un budget réduit ne va pas se lancer dans ces dépenses..."

Pari gagné : à la suite de ce courrier, le Togo a fait marche arrière sur le paquet neutre. Le pays n’est pas le seul victime de ce "chilling effect" : un coût des procédures dissuasif pour les Etats. .

Extrait de "Multinationale contre Etat : la loi du plus fort", une enquête diffusée dans "Envoyé spécial" le 16 novembre 2017.

source: Franceinfo