Le parlement européen s’accorde sur le traité transatlantique

Mediapart | 9 juillet 2015

Le parlement européen s’accorde sur le traité transatlantique

Par Ludovic Lamant

Après cinq mois de débats agités, les eurodéputés ont donné leur feu vert, mercredi, à la poursuite des négociations commerciales avec Washington. Le compromis trouvé sur le principe très contesté de l’arbitrage entre État et multinationales est ambigu.

De notre envoyé spécial à Bruxelles.- Martin Schulz a réussi son coup. Ses passages en force des dernières semaines ont payé. Le président du parlement est parvenu à dégager une majorité sur l’un des textes les plus polémiques du mandat, le traité de libre-échange en négociations avec les États-Unis (TTIP dans le jargon bruxellois, ou TAFTA pour ses adversaires). Ils sont 436 à s’être prononcés pour, 241 contre, et 32 à s’être abstenus, mercredi lors d’un vote en séance plénière à Strasbourg.

C’est l’épilogue d’un marathon parlementaire de cinq mois, qui a donné lieu à d’intenses débats et, au passage, à un quasi-éclatement du groupe social-démocrate, le deuxième groupe politique de l’institution (où l’on retrouve le PS français, le SPD allemand ou encore le PSOE espagnol). En juin, constatant que la majorité n’était pas acquise sur le texte, Schulz avait décidé in extremis, à la surprise générale, de reporter le vote, le temps de trouver un nouveau compromis davantage acceptable…

« Ce vote va renforcer l’élan, et c’était nécessaire, pour la poursuite des négociations transatlantiques. Il prouve que le parlement européen est favorable à une Europe ouverte, une Europe à l’offensive dans le commerce international », s’est félicité Schulz, un social-démocrate allemand. Le texte adopté mercredi (lire l’intégralité ici) n’est qu’un rapport d’initiative rédigé par un autre social-démocrate allemand, Bernd Lange. Il se contente d’envoyer des recommandations à la commission de Jean-Claude Juncker, en charge des négociations.

Sur le fond, ce vote n’engage donc à rien. Mais il a valeur de répétition générale. Le parlement a vu ses compétences grandir en matière commerciale depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009. Si bien que les eurodéputés pourront, une fois les négociations terminées, peut-être d’ici la fin de leur mandat en 2019, valider ou rejeter le texte final. Un nouveau « round » de négociations entre Bruxelles et Washington s’ouvre d’ailleurs à partir de lundi, dans la capitale belge.

« Si l’on peut reprocher à Martin Schulz ses excès de mégalomanie anti-démocratiques, force est de reconnaître qu’ils produisent leurs effets sur ce parlement européen », regrettait mardi l’eurodéputé écolo Yannick Jadot, opposant au TTIP. Élément clé du vote de mardi, le président du parlement a réussi à dégager une formulation jugée plus acceptable par certains sociaux-démocrates, sur la question hautement controversée de l’arbitrage État-investisseur.

Ce mécanisme (dit ISDS dans le jargon) doit autoriser à terme des multinationales à attaquer en justice un État, si elles estiment leurs intérêts mis à mal par une nouvelle législation adoptée par cet État. D’après ses défenseurs, l’« ISDS » doit permettre d’apporter des garanties juridiques aux entreprises étrangères, pour les inciter à investir davantage. En juin, les sociaux-démocrates s’étaient rangés du côté des voix les plus critiques, réclamant une exclusion pure et simple de l’ISDS du texte, parce qu’il menace le droit à réguler des États. C’est alors que Schulz était intervenu.

Le nouveau compromis propose non pas d’« exclure », mais de « remplacer le système ISDS par un nouveau système qui permette de résoudre les différends entre États et investisseurs » (cet amendement sur l’ISDS a obtenu une majorité plus large que le vote global, avec 447 élus en faveur). Ce nouveau « système » devra répondre à des critères de transparence plus précis, et recrutera au terme d’une procédure publique des juges indépendants, précise le texte, qui inclut la possibilité d’un mécanisme d’appel (des propositions qui ne sont pas sans rappeler les positions de Paris sur le sujet).

Pour les plus critiques, ce compromis ne fait que donner un blanc-seing à la commission, pour poursuivre des négociations avec Washington, et bricoler un « ISDS amélioré », dans les mois à venir, qui resterait tout aussi dangereux sur le principe. Pour les plus optimistes, c’est le début d’une nouvelle approche des différends États-investisseurs, qui pourrait faire évoluer – dans le bon sens – le droit international.

Du côté français, les élus du FN, du Front de gauche, d’Europe Écologie et du PS ont voté contre le rapport. « Nous regrettons le vote ambigu intervenu (…) au parlement européen. Le texte de la résolution est à nos yeux trop flou et la menace d’un ISDS toujours présente. C’est pourquoi nous réaffirmons que si, à l’issue des négociations, l’arbitrage privé devait figurer dans l’accord passé entre l’Union européenne et les États-Unis, nous rejetterions le TTIP », ont fait savoir les 13 élus PS à Strasbourg (qui n’ont donc pas suivi la ligne de vote de leur groupe, qui appelait à voter pour).

Elle aussi critique, la socialiste belge Marie Arena a justifié son rejet du texte de manière plus vive : « L’ISDS, point d’achoppement majeur de ce texte, a été largement contesté par les députés mais la force des lobbies des multinationales, seuls bénéficiaires de ce dispositif toxique l’a finalement emporté. » Pour la Gauche unitaire européenne (GUE, avec le Front de gauche), « nous ne pouvons nous satisfaire de propositions qui remplacent les mécanismes actuels de l’ISDS, qui sont mauvais, par un ISDS "amélioré". C’est le principe même de l’ISDS qui doit être abandonné, puisque ce principe revient à donner davantage de pouvoirs aux entreprises qu’aux citoyens », a réagi l’eurodéputé allemand de Die Linke Helmut Scholz.

À l’inverse, les Français Tokia Saïfi et Franck Proust, des “Républicains” (LR), estiment que le texte donne suffisamment de garanties pour une réforme radicale de l’ISDS : « [Ce mécanisme] doit en effet être réformé afin de respecter le droit à réguler des États. Il doit fonctionner comme une véritable juridiction publique. Il devra en ce sens répondre à des obligations de transparence, et comprendre un mécanisme d’appel. » À signaler, l’ex-sénateur Jean Arthuis, eurodéputé élu sur les listes UDI-Modem, a voté contre le rapport d’initiative, à l’encontre des consignes de son groupe.

Et maintenant ? Le parlement européen doit désormais attendre la fin des négociations pour se prononcer à nouveau. D’ici là, il pourrait valider – ou rejeter – un autre accord commercial du même type, conclu entre l’UE et le Canada. Ce texte, dit CETA, a déjà été finalisé, mais il n’est toujours pas entré en vigueur, bloqué parce qu’il intègre, lui aussi, le mécanisme sulfureux de l’ISDS. En l’état, il n’est pas du tout certain que le CETA trouve une majorité au parlement européen. Tout l’enjeu des semaines à venir est de voir quel compromis la commission européenne va proposer sur le volet ISDS pour TTIP – ce qui modifiera par ricochets CETA –, en s’inspirant de l’amendement voté mercredi par les eurodéputés, ou encore de certaines propositions des capitales sur le sujet.

Au-delà du vote positif de mercredi, les adversaires au TTIP peuvent aussi trouver matière à se réjouir. Les positions ont évolué, et la majorité n’est plus si évidente qu’à l’été 2013, lors du lancement des négociations. « La mobilisation de tous les acteurs de la société a profondément modifié les rapports de force au sein du parlement, veut croire Yannick Jadot. Alors que les négociations ne sont même pas à mi-parcours, une victoire aussi forcée et étriquée des pro-TTIP n’est pas la pire des nouvelles. »

source: Mediapart