Un tribunal CIRDI rejette sa compétence face à l’abus de droit d’un investisseur ayant « réveillé » une société afin d’accéder à l’arbitrage contre le Cameroun

Toutes les versions de cet article : [English] [français]

IISD | 26 septembre 2017

Un tribunal CIRDI rejette sa compétence face à l’abus de droit d’un investisseur ayant « réveillé » une société afin d’accéder à l’arbitrage contre le Cameroun

Capital Financial Holdings Luxembourg SA c. République du Cameroun, Affaire CIRDI n° ARB/15/18

Dans une sentence rendue le 22 juin 2017, un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rejeté sa compétence pour connaître d’une requête d’arbitrage contre le Cameroun, en acceptant les objections d’incompétence basées sur l’existence d’un investissement et la nationalité de l’investisseur. Il a notamment estimé que la société requérante n’avait pas de siège social au Luxembourg et a fait preuve d’abus de droit pour « étayer la réalité de son siège social luxembourgeois » (para. 365).

Les faits et le recours

Capital Financial Holdings Luxembourg SA (CFHL), une société immatriculée au Luxembourg créée en 2005, est détenue à 90 % par la société Fotso Group Holding Limited (FGH), une société chypriote, détenue elle-même à 99,8 % par le camerounais Yves-Michel Fotso. Entre 2006 et 2008, CHFL a acquis 46,47 % des actions de la Commercial Bank Cameroun (CBC) et lui a alloué des prêts d’actionnaires. La CBC est une société financière de droit camerounais dans laquelle Yves-Michel Fotso et son père était déjà actionnaires fondateurs.

Suite à un contrôle des activités de la CBC effectuée en 2006 pour cause d’irrégularités de certaines opérations, la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC) a pris plusieurs mesures qui ont abouti à la mise sous administration provisoire de la CBC en 2009. Ainsi, le gouvernement camerounais a enclenché une procédure de restructuration de la CBC, et un tribunal camerounais a ordonné la mise sous séquestre des actions de CFHL dans la CBC en 2013.

Le 15 avril 2015, CHFL a déposé une requête d’arbitrage auprès du CIRDI contre le Cameroun pour violation du traité bilatéral d’investissement (TBI) conclu avec l’Union Economique Belgo-Luxembourgeoise (UEBL). La société estimait avoir subi une expropriation de son investissement dans CBC du fait des mesures prises par le Cameroun et requiert une indemnisation. Le Cameroun contestait la compétence du tribunal sur la base de la Convention CIRDI et du TBI, et invoquait en outre un abus de droit par CFHL.

Le consentement du Cameroun à l’arbitrage CIRDI (la compétence ratione voluntatis)

La principale question posée ici était de savoir si la procédure de règlement amiable préalable de six mois prévue dans le TBI était « une condition nécessaire au consentement des Parties » à l’arbitrage (para. 143) et, dans l’affirmative, si CHFL avait satisfait à cette condition. En l’espèce, le TBI prévoyait un arrangement direct entre les parties au différend et à défaut une conciliation par voie diplomatique entre les États parties.

Ayant décidé de ne pas se prononcer sur la question de savoir s’il s’agissait d’une question de compétence ou de recevabilité, le tribunal est arrivé à la conclusion qu’il s’agissait d’une obligation de moyen incombant aux parties (para. 159). Après avoir constaté que la demanderesse avait entamé des démarches satisfaisantes et à sa portée pour régler le litige à l’amiable, il a conclu que les conditions du consentement du Cameroun étaient remplies.

La nationalité luxembourgeoise de l’investisseur (la compétence ratione personae)

Le tribunal s’est ensuite penché sur question de la nationalité de CFHL au regard du TBI, de la Convention CIRDI et du droit luxembourgeois. Si plusieurs éléments ont été discutés, la sentence s’est focalisée sur la définition du « siège social ». En effet, le TBI prévoit deux critères cumulatifs de nationalité pour les personnes morales : le lieu de l’immatriculation (que le Cameroun n’avait pas contesté) et le lieu du siège social.

Après avoir décidé qu’il fallait définir la notion de « siège social » au regard du droit luxembourgeois (para. 211), le tribunal a analysé la jurisprudence luxembourgeoise et des sentences arbitrales ayant discuté de questions similaires, notamment l’affaire Tenaris & Talta-Trading c. Venezuela. Faisant sien le raisonnement des arbitres dans l’affaire Tenaris (para. 263), le tribunal a finalement conclu que le siège social renvoie au « siège réel » et donc au lieu de l’administration centrale de la société. Il a ensuite identifié quatre éléments d’appréciation du siège social : le lieu des assemblées générales des actionnaires, le lieu des réunions du conseil d’administration, le lieu de la comptabilité de la société, et le lieu où se trouvent les documents sociétaires et comptables (para. 237). Il parvient à la même conclusion en interprétant la notion de siège social en droit international autonome (para. 268). De l’analyse de la Convention CIRDI, le tribunal a précisé que la nationalité de CFHL, et notamment l’existence d’un siège social au Luxembourg, devait s’apprécier à la date à laquelle les parties ont consenti de soumettre le différend à l’arbitrage, à savoir le 15 avril 2015.

Après un minutieux examen des activités de CFHL de 2005 à 2015, le tribunal a conclu qu’il « ne peut admettre que la Demanderesse avait son siège social réel au Luxembourg au moment des faits » (para. 356). De surcroit, le caractère artificiel du siège social a amené le tribunal à examiner l’existence d’un abus de droit, tel qu’invoqué par le Cameroun. Sur ce point, il a arrivé au constat que « l’absence totale d’activité de la Demanderesse pendant une si longue période et son « réveil » soudain après la notification du différend sont à cet égard révélateurs d’une existence purement formelle à la date déterminante.…Même si la Demanderesse n’a pas spécialement été créée pour bénéficier de la protection du Traité, elle a bel et bien été « réveillée » pour étayer la réalité de son siège social luxembourgeois, aux fins de satisfaire aux conditions de nationalité posées par le Traité. Partant, le comportement de la Demanderesse doit être qualifié d’abusif, la privant du bénéfice des dispositions procédurales et substantielles du Traité » (paras. 364 et 365).

L’existence d’un investissement protégé (la compétence ratione materiae)

Le Cameroun contestait également l’existence d’un investissement au sens de la Convention CIRDI et du TBI. Le tribunal a retenu trois critères de définition objective de l’investissement, à savoir la contribution économique substantielle, la durée et le risque économique. En l’espèce, il a constaté une confusion de patrimoines dans la gestion des sociétés CFHL, FGH et CBC, la circularité des transactions entre ces sociétés et l’absence de preuve de contrepartie financière pour l’achat des actions de la CBC et des prêts qui lui ont été accordée par la CFHL. De ce fait, le tribunal a conclu que la demanderesse « n’a pas fait de contribution substantielle à son propre compte dans la CBC…[et] n’a pas non plus encouru un risque en lien avec ces transactions » (para. 457). CFHL n’a donc pas réalisé d’investissement au Cameroun, d’après le tribunal.

Décision et frais

En définitive, le tribunal s’est déclarée incompétent pour connaître de cette affaire. L’arbitre nommé par la demanderesse a produit une opinion dissidente contestant l’analyse et la conclusion de la majorité sur la nationalité de CFHL et l’existence de son investissement.

Le tribunal, tenant compte de son pouvoir d’appréciation et de l’existence d’un abus de droit par la demanderesse, a condamné CHFL à supporter l’intégralité des frais de l’arbitrage des deux parties aux litige, chaque partie devant régler ses propres frais et dépenses de conseil.

Remarques : Le tribunal était composé de Pierre Tiercer (Président nommé par les parties, de nationalité suisse), Alexis Moore (nommé par le demandeur, de nationalité française), et Alain Pellet (nommé par le défendeur, de nationalité française). La sentence est disponible uniquement en français sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw9017.pdf. L’opinion dissidente de Alexis Moore est disponible uniquement en français sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw9018.pdf.

Suzy Nikièma est Conseillère en droit international au Programme Investissement et Coordinatrice régional Afrique du programme Droit et politique économique de IISD ; et enseigne à l’Université Saint Thomas d’Aquin et l’Université Aube Nouvelle au Burkina Faso.

source: IISD