Traité sur la Charte de l’énergie : le traité qui va tuer l’Accord de Paris
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Bon Pote | 8 juin 2022

Traité sur la Charte de l’énergie : le traité qui va tuer l’Accord de Paris

par Yamina Saheb

Yamina Saheb est experte internationale des politiques d’atténuation du changement climatique au cabinet d’études OpenExp et enseignante à Sciences Po Paris. Elle est l’une des auteurs du rapport du GIEC sur l’atténuation du changement climatique.

Alors que le Président de la République, nouvellement réélu, a donné pour mission au gouvernement de mettre en place la planification écologique, ce même gouvernement s’apprête à mettre fin le 24 juin prochain à l’objectif de neutralité carbone de la France et de l’Union Européenne (UE) en prolongeant jusqu’en 2040 la protection des investissements étrangers dans les énergies fossiles, en particulier le gaz, dans le cadre de la ’’modernisation’’ du traité sur la Charte de l’énergie (TCE). Pour sceller cet accord climaticide, un cycle de négociations de rattrapage est prévu cette semaine.

Qu’est-ce que le traité sur la Charte de l’énergie ?

Le traité sur la Charte de l’énergie est un accord multilatéral de 1994, ratifié par la France en 1999, qui permet aux investisseurs étrangers d’exiger jusqu’à plusieurs milliards d’euros des Etats en compensation de l’impact négatif que les changements dans la législation liée au secteur de l’énergie pourraient avoir sur les investissements faits et sur les bénéfices escomptés par les investisseurs étrangers.

Des avocats d’affaires bien rodés à extorquer de l’argent public aux gouvernements au nom des « attentes légitimes des investisseurs étrangers » incitent ces derniers à avoir recours pour les règlements des différends aux tribunaux d’arbitrage privés[1], où siègent ces mêmes avocats, au lieu des tribunaux nationaux ; les deux options étant prévues par le TCE.

Le traité sur la Charte de l’énergie compte 53 parties prenantes dont l’UE et tous les Etats membres, sauf l’Italie qui s’en est retirée en 2015, ainsi que tous les pays membres de la communauté de l’énergie, ceux de la zone européenne de libre-échange, les pays d’Asie centrale, la Turquie et le Japon. L’objectif premier du TCE était de sécuriser l’approvisionnement de l’Europe de l’ouest en énergies fossiles à partir des Républiques issues du bloc soviétique, en protégeant les opérations des compagnies occidentales dans ces pays. Or, la Norvège, qui fait également partie de la zone européenne de libre-échange, est le seul pays signataire du TCE qui joue un rôle important dans l’approvisionnement des Etats membres en gaz et en pétrole et que l’Australie, principal fournisseur de l’UE en charbon s’est retiré du TCE en 2021 (Graphe 1). La crise énergétique déclenchée par la guerre en Ukraine est venue confirmer l’inutilité du TCE pour la sécurité énergétique de l’UE car la Russie, principal fournisseur de l’Union en énergies fossiles, s’en est retirée en 2009 et que le protocole du traité sur le transit est difficilement applicable en cas de conflits militaires.

Une stratégie d’extension du TCE à des pays abritant d’importantes réserves en énergies fossiles a alors été développée, dès 2010, dans le but de remplacer la Russie. Les pays africains sont visés en priorité par cette extension qui est financée principalement par les fonds de développement de l’UE. Fort heureusement, malgré les efforts déployés et les nombreux projets de développement détournés[2] au profit de la préparation de l’adhésion des pays africains au TCE, ces derniers n’ont pas réussi à ajuster les législations nationales pour permettre la mise en œuvre des dispositions du TCE, en particulier le recours aux tribunaux d’arbitrage privés qui intéresse en priorité les compagnies européennes.

Les litiges emblématiques du traité sur la Charte de l’énergie

Le dernier rapport du GIEC[3]) a identifié l’inclusion dans les traités commerciaux de dispositions permettant le recours aux tribunaux d’arbitrage privés comme une barrière à la mise en place des politiques de décarbonation qui imposent de mettre fin à l’exploration, l’exploitation et l’utilisation des énergies fossiles, y compris le gaz.

Or, en protégeant les investissements étrangers dans les énergies fossiles, le traité sur la Charte de l’énergie protège les actifs fossiles potentiellement « échoués » (« stranded assets », donc dévalorisés par l’évolution nécessaire de la législation). Le rapport du GIEC cite explicitement le traité sur la Charte de l’énergie comme un outil de blocage de l’action climatique par les propriétaires d’actifs fossiles potentiellement « échoués ». Ces derniers ont été estimés[4] à 879 milliards d’euros fin 2019 et pourraient atteindre 2 150 milliards d’euros d’ici 2050 si la protection des investissements étrangers dans les énergies fossiles est maintenue.

Comment les investisseurs se servent du traité sur la Charte de l’énergie pour faire plier les Etats

Les investisseurs étrangers n’ont pas besoin d’attendre qu’une nouvelle loi soit votée. Il leur suffit d’invoquer le traité sur la Charte de l’énergie et de brandir la menace d’une demande de compensation devant les tribunaux d’arbitrage privés pour que les gouvernements abdiquent. Ce fut, notamment, le cas de la loi Hulot sur la fin de l’exploration et de l’exploitation des hydrocarbures, qui fut vidée de sa substance par la simple menace[5] de la société canadienne[6] Vermillion qui considérait que la loi « viole les engagements internationaux de la France en tant que membre du traité sur la Charte de l’énergie de 1994 ».

De l’autre côté du Rhin, le gouvernement allemand a offert[7] dans le cadre de l’accord sur la sortie du charbon[8] une compensation de plus de quatre milliards d’euros à deux compagnies européennes, LEAG et RWE[9], à condition de ne pas utiliser le traité sur la Charte de l’énergie pour des recours aux tribunaux d’arbitrage privés. La décision du gouvernement allemand a été motivée par les litiges expérimentés par le pays avec l’entreprise suédoise Vattenfall, qui lui réclame des compensations de plus de six milliards d’euros en raison de la mise à l’arrêt prématurée d’une centrale nucléaire et de la demande de mise en conformité d’une centrale à charbon avec les normes environnementales européennes.

Le traité sur la Charte de l’énergie est le traité le moins connu des décideurs politiques, des médias, ONGs et grand public, mais il est le traité le plus invoqué dans les litiges entre investisseurs étrangers et États. A ce jour, il existe 146 litiges[10] connus qui invoquent le TCE dont plus de deux-tiers sont des litiges intra-européens[11] liés à la baisse des subventions pour la production d’électricité à partir des sources d’énergie renouvelables. L’Espagne caracole en tête des litiges intra-européens avec une cinquante de litiges en cours pour un total de demandes de compensations de plus de huit milliards d’euros. L’Italie et la République Tchèque sont les deux autres pays les plus durement touchés par le TCE.

Le traité sur la Charte de l’énergie est un ralentisseur de la transition écologique

Les promoteurs du TCE, avec à leur tête le secrétariat qui gère ce traité, défendent l’idée que ce traité est un outil indispensable pour accélérer la transition énergétique en s’appuyant sur le nombre élevé de litiges liés à la baisse des subventions relatives à la production d’électricité à partir de sources d’énergies renouvelables.

Or, comme le rappelle le rapport du GIEC[12] , le traité sur la Charte de l’énergie est plutôt un frein à la transition énergétique qu’un accélérateur de celle-ci. En effet, la transition énergétique nécessite une bonne gouvernance et des ajustements réguliers des subventions aux investissements dans les énergies renouvelables à la réalité du marché comme ce fut le cas dans plusieurs pays de l’UE avec la baisse[13]) spectaculaire des coûts des installations photovoltaïques (-85%) et éoliennes (-55%) entre 2010 et 2019.

Seulement voilà, les changements législatifs dans les pays signataires du TCE peuvent coûter aux contribuables des milliards d’euros en procédures judiciaires et compensations. La France est d’ailleurs dans la ligne de mire des arbitres depuis qu’elle a introduit des modifications dans les subventions aux énergies renouvelables.

La baisse des subventions aux énergies renouvelables a été appliquée sans distinction aux investisseurs nationaux et étrangers sauf au Portugal où les tarifs de rachat de l’électricité éolienne, qui implique principalement des investisseurs étrangers, ont été prolongés jusqu’en 2036 alors que les subventions aux installations solaires, qui impliquent principalement les investisseurs nationaux, ont été ajustées à la réalité du marché.

Certes la décision portugaise a évité le recours comme le prévoit le TCE aux tribunaux d’arbitrage privés pour le règlement des différends entre investisseurs et Etats, mais cette décision qui est le résultat de négociations secrètes[14] avec des investisseurs étrangers, y compris des Chinois qui ont racheté certaines installations éoliennes au moment de la crise financière, a augmenté le coût de la transition énergétique pour les contribuables portugais. En effet, le Portugal est le pays de l’UE où le coût des subventions pour la production de l’électricité éolienne est le plus élevé. Pas étonnant que le Portugal ait fait alliance avec l’Espagne, le pays le plus attaqué par le biais du TCE, pour mettre fin temporairement à l’application des règles du marché commun de l’électricité. Malgré cela, les partisans du traité sur la Charte de l’énergie considèrent la stratégie mise en place par le Portugal pour éviter les litiges comme une bonne pratique.

Gazprom, Engie et NordStream2 : les États affaiblis par le TCE

Par ailleurs, le TCE ne comprend pas de dispositions explicites pour protéger le droit des Etats à légiférer. Ainsi, les parties prenantes de ce traité perdent la souveraineté sur leurs politiques énergétiques au profit d’investisseurs étrangers comme le montrent les litiges connus et en particulier celui qui oppose NordStream2 à l’Union Européenne dans le cadre de la mise en œuvre de la directive européenne relative aux règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel. En effet, le consortium NordStream2, qui se compose du géant Russe Gazprom et de plusieurs compagnies européennes dont ENGIE, conteste l’extension aux pays-tiers des règles de dégroupage dans le secteur du gaz et demande réparation à l’UE par le biais du TCE.

Le traité sur la Charte de l’énergie est une menace pour les démocraties

Le traité sur la Charte de l’énergie est également une menace pour les démocraties car il empêche les gouvernements d’exécuter des décisions de justice émanant des tribunaux nationaux et qui résultent de l’action citoyenne dans le cadre des contentieux climatiques comme c’est le cas en Italie et aux Pays-Bas. Dans les deux cas, la bataille judiciaire gagnée par les citoyens, pour l’arrêt de l’exploration des énergies fossiles en Méditerranée dans le cas italien et pour l’arrêt prématurée de centrales à charbon avant la fin de leur durée de vie aux Pays Bas, va coûter aux contribuables des sommes exorbitantes qui serviront à compenser des investisseurs étrangers.

Ces deux cas sont très probablement les premiers d’une longue série à venir dans le cadre de la mise en œuvre de la neutralité climatique. Le coût potentiel des litiges liés à l’arrêt prématuré des installations fossiles a d’ailleurs été estimé à 1300[15] milliards d’euros dont 42% devraient être payés par le contribuable européen.

La multiplication des litiges intra-européens s’explique par le fait que plus de deux-tiers des investissements étrangers dans le secteur de l’énergie dans l’UE sont des investissements intra-européens et donc protégés par les règles du marché unique comme le prévoit le traité de Lisbonne. Cependant, le recours aux tribunaux d’arbitrage privés pour le règlement des différends entre investisseurs et États tel que prévu par le traité sur la Charte de l’énergie est plus avantageux que la loi européenne pour les investisseurs européens qui sont considérés étrangers dans les autres pays de l’UE dans le cadre du TCE. A cela s’ajoute, le manque d’éthique des arbitres et de certains investisseurs européens, en particulier les fonds spéculatifs basés dans les paradis fiscaux des Etats membres.

La modernisation du traité sur la Charte de l’énergie possible ?

La prise de conscience tardive des pays de l’UE des effets pervers du traité sur la Charte de l’énergie a poussé ces derniers à mettre la pression sur les autres parties prenantes, en particulier le Japon, pour modifier le texte du traité. Cette modification se fait dans le cadre d’un processus dit de ‘’modernisation’’ du TCE dont 13 cycles de négociations, sans succès, ont déjà eu lieu et un 14e cycle de rattrapage est prévu du 8 au 10 juin 2022 avec pour objectif d’arriver à un traité ‘’modernisé’’ le 24 juin.

L’objectif affiché des négociations est d’aligner le TCE avec les exigences des nouveaux accords internationaux, et en particulier l’Accord de Paris sur le climat et les dispositions dites ‘’modernes’’ relatives au règlement des différends entre investisseurs et États. Toutefois, ce dernier point n’est pas à l’ordre du jour des négociations sur la modernisation du traité et aucune partie prenante, y compris l’UE, n’a proposé de mettre fin à la protection des investissements étrangers existants dans les énergies fossiles.

Que propose l’Union Européenne ?

La proposition de l’UE consiste à ne pas protéger les investissements à venir dans les énergies fossiles tout en maintenant la protection des investissements existants dans toutes les énergies fossiles jusqu’en 2030 et dans les centrales électriques à gaz jusqu’en 2040 si elles émettent moins de 380 gCO2/kWh.

Cette limite en émissions de CO2, annoncée sous présidence allemande du conseil de l’UE, permettra à l’Allemagne de faire sa transition énergétique d’une énergie fossile (le charbon) vers une autre énergie fossile (le gaz) sans devoir remettre en question son modèle économique énergivore.

Fait étonnant, la société civile et les ministres de l’énergie qui se sont rebellés contre l’inclusion des centrales à gaz et des centrales nucléaires dans la taxonomie européenne relative aux investissements durables, qui n’est rien d’autre qu’un label non contraignant, n’ont pas réagi à la continuation de la protection des investissements étrangers dans les centrales à gaz et les centrales nucléaires par le traité sur la Charte de l’énergie ‘’modernisé ».

A croire que dérouler le tapis rouge aux investisseurs étrangers est un objectif suprême et non négociable pour les européens. Pourtant, la limite de 380 gCO2/kWh proposée dans le cadre de la modernisation du traité sur la Charte de l’énergie est bien 3.8 fois supérieure à la limite de 100gCO2/kWh considérée dans l’acte délégué de la taxonomie européenne relative aux investissements durables ainsi qu’à la limite de 250gCO2/kWh fixée dans la politique de prêts de la Banque Européenne d’Investissement (BEI) dans le secteur de l’énergie (Graphe 2).

Un manque de soutien flagrant

Sans surprise, la proposition de l’UE, bien que climaticide et incohérente avec son objectif de neutralité carbone et les dernières conclusions du GIEC n’a eu le soutien d’aucune autre partie prenante. C’est ainsi que le secrétariat du TCE, qui n’est pas partie prenante de la modernisation du traité, a mis sur la table des négociations une proposition, dite mécanisme de flexibilité, qui a été discutée dès 2019[16], avec le Comité Consultatif de l’Industrie[17] ; un autre acteur qui n’est pas partie prenante de la modernisation.

Ce mécanisme de flexibilité, si adopté, permettra aux négociateurs européens de sauver la face en mettant en place de façon unilatérale la proposition de l’UE, ce qui ouvrira le bal à de nouveaux litiges contre les pays de l’UE. En effet, la mise en place de l’objectif de neutralité climatique nécessitera obligatoirement la fermeture prématurée des centrales à gaz, qui sont pour rappel alimentées à hauteur de 40% par du gaz qui provient de Russie.

Les négociations sur la modernisation du traité sur la Charte de l’énergie se déroulent derrière des portes closes aux élus et à la société civile. Toutefois, à la fin de chaque cycle de négociations une communication laconique est rendue publique. Cette communication est le fruit de la pression du négociateur Français lors du premier cycle des négociations pour répondre aux nombreux articles publiés dans la presse Française[18] sur le TCE.

La dernière communication confirme le peu de progrès faits après 13 cycles de négociations[19]. En effet, à ce jour les parties prenantes ne se sont mises d’accord sur aucun des changements proposés (Tableau 1). Il est peu probable que le cycle de rattrapage prévu cette semaine permette d’aboutir à un accord sur l’ensemble des articles à modifier. Sachant qu’un accord partiel ne permettra pas de passer au vote, qui doit se faire à l’unanimité des parties prenantes, les quelques articles sur lesquels les parties prenantes se mettraient éventuellement d’accord durant ce cycle de rattrapage, on peut donc conclure que la modernisation du TCE est un ECHEC.

Que peut-on/doit-on faire maintenant ?

En protégeant les investissements étrangers dans les énergies fossiles, le traité sur la Charte de l’énergie protège les investissements étrangers dans les émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, les émissions cumulées par le TCE depuis son entrée en vigueur en 1998 seraient supérieures au budget carbone restant de l’UE[20] pour la période 2020-2050.

Si par miracle un accord est trouvé pendant le cycle de rattrapage du 8 au 10 juin, le traité ‘’modernisé’’ sera basé sur le mécanisme de flexibilité et les émissions protégées par le TCE pourraient atteindre, d’ici 2050, environ deux tiers du budget carbone mondial restant[21] pour nous donner une chance de limiter le réchauffement climatique à 1.5°C d’ici la fin du siècle.

Si aucun accord n’est trouvé et que l’UE et ses Etats membres continuent à faire partie du Traité sur la Charte de l’Énergie, les émissions de carbone protégées par le TCE d’ici 2050 seraient alors équivalentes au budget carbone restant pour nous donner une chance de limiter le réchauffement climatique à 1.5°C d’ici la fin du siècle (Graphe 3).

Dans les deux cas, un retrait collectif des pays de l’UE, accompagné d’un accord pour annuler la clause de survie[22] entre les Etats membres pour pouvoir mettre fin à la protection des investissements existants, s’impose. L’idée du retrait collectif de l’UE et des Etats membres a fait son chemin depuis 2019 et le peu de progrès faits durant les 13 cycles de négociations ont encouragé plusieurs pays de l’UE à considérer sérieusement cette option.

Et la France ?

La France a été le premier pays à considérer sérieusement l’option du retrait collectif de l’UE et des Etats membres. Dans un courrier de décembre 2020, Bruno Le Maire et trois autres ministres, ont demandé à la Commission européenne (CE) au nom du gouvernement Français d’analyser les implications légales d’une sortie collective des pays de l’UE du TCE. Ce courrier fut une réponse de la France à la mobilisation[23] des parlementaires, des jeunes, des scientifiques, des investisseurs institutionnels et des investisseurs regroupés dans la fédération européenne des énergies renouvelables en faveur d’une sortie collective des pays de l’UE du TCE.

Le courrier de la France fut suivi en février 2021 par celui de l’Espagne qui a menacé de se retirer de façon unilatérale du TCE si l’option du retrait collectif n’est pas considérée par la CE. La Pologne et la Grèce ont également saisi la CE au sujet de l’option de retrait collectif et plusieurs pays dont l’Allemagne, les Pays Bas (pays à l’origine du TCE), l’Irlande, la Lettonie et bien d’autres considèrent sérieusement l’option de retrait collectif de l’UE et de tous les Etats membres pour mettre fin à la menace que représente le TCE pour la mise en place de la neutralité carbone.

Le gouvernement français enfin à la hauteur des enjeux écologiques ?

Sans surprise, les promoteurs du traité sur la Charte de l’énergie nient sa menace avérée contre la mise en place de la neutralité carbone en Europe et rejettent l’idée du retrait collectif des pays de l’UE en s’appuyant sur l’avis publié en septembre 2021 par la Cour de justice européenne qui confirme que les disputes intra-européennes dans le cadre du TCE ne sont pas conformes à la loi européenne. Malheureusement, bien que cet avis soit une bonne nouvelle, son application pour les disputes existantes est peu probable et il n’y a aucune garantie que les tribunaux d’arbitrage privés situés hors de l’UE appliquent dans le futur la décision de la Cour de justice européenne.

Par ailleurs, les défenseurs du TCE continuent leur propagande sur l’indispensabilité de ce traité pour la transition énergétique et en particulier dans les pays en développement visés par la stratégie d’extension mise en place par le secrétariat du TCE. Pourtant en 2020[24], les investissements dans la production d’électricité à partir de sources renouvelables se sont concentrés principalement en Chine, aux Etats-Unis et dans quelques pays de l’UE dont la France en raison de la stabilité économique et politique dont jouissent ces pays et sans aucun lien prouvé avec le TCE.

Malheureusement, les ONG françaises qui s’intéressent au traité sur la Charte de l’énergie, comme auparavant leurs consœurs allemandes, n’ont pas réussi à inscrire la modernisation de ce traité dans les priorités de la présidence de leurs pays respectifs du conseil de l’UE et encore moins la sortie collective des pays membres de ce traité.

Bien au contraire, c’est pendant la présidence allemande du conseil de l’UE que la mise de la neutralité carbone de l’UE sous le contrôle du TCE a été suggérée et ça sera peut-être pendant la présidence française que cette proposition sera confirmée si un accord de ‘modernisation’’ du TCE est atteint le 24 juin. A moins que, comme promis par le président de la République le soir de sa réélection, le gouvernement français décide d’être à la hauteur des enjeux climatiques et déclenche avant la fin de la présidence française du conseil de l’UE la sortie collective des Etats membres du traité sur la Charte de l’énergie.

Si le gouvernement français ne passe pas des paroles à l’action, alors seule une action en justice à la Cour européenne des droits de l’homme pourrait imposer le retrait collectif des pays de l’UE de ce traité climaticide. La réussite d’une action de cette nature prendra très probablement plusieurs années pendant lesquelles les investissements existants dans les énergies fossiles continueront à être protégés dans l’UE par un traité du siècle dernier qui pourrait enfermer l’Afrique à jamais dans le carbone.

Pour accéder aux graphiques et hyperliens, lire l’article sur le site original

Références
↑1 L’intégration des tribunaux d’arbitrage privés dans les traités commerciaux a vu le jour après la décolonisation et sous pression des multinationales basées en Europe. Ces dernières ont justifié le besoin d’arbitres neutres en raison de leur méfiance vis-à-vis des tribunaux locaux dans le règlement des différends qui les opposaient à des gouvernements nationalistes qui n’hésitaient pas à exproprier les investisseurs étrangers pour mettre en place des politiques de développement.
↑2 L’assistance technique financée par l’UE dans le cadre de la mise en œuvre des objectifs d’accès à une énergie propre pour tous en 2030 a notamment été partiellement utilisée pour former les experts africains au TCE. Plus récemment, dans le cadre d’un projet d’aide à la mise en place d’une gouvernance moderne de l’énergie dans les pays de l’Afrique de l’Ouest, l’UE finance depuis 2019, à travers le 11e fonds européen de développement, l’accueil par le secrétariat du TCE d’experts nationaux en vue de préparer l’adhésion de leurs pays au TCE.
↑3 Voir résumé pour décideurs (page 64, section E6.4), Chapitre 14 (page 82, lignes 7 à 19), Chapitre 15 (page 66, lignes 5 à 13
↑4 Modernisation of the Energy Charter Treaty : A global tragedy at a high cost for taxpayers, OpenExp, 2020
↑5 Loi Hulot, contributions des lobbies au Conseil d’Etat, Les Amis de la Terre, 2018
↑6 Il est important de noter que le Canada n’est pas signataire du TCE, mais que cela n’empêche pas un investisseur Canadien d’utiliser le TCE en procédant à une simple domiciliation de l’une de ses filiales dans un pays signataire du traité.
↑7 Öffentlich-rechtlicher Vertrag zur Reduzierung und Beendigung der Braunkohleverstromung in Deutschland
↑8 Cet accord prévoit une sortie du charbon en 2038 et si possible en 2035.
↑9 Une étude publiée par le think tank allemand OKO institut a montré que la compensation proposée par le gouvernement allemand était trop élevée et injustifiée au regard de l’investissement fait
↑10 Il est fort possible que le nombre de cas soit supérieur car les investisseurs et les gouvernements n’ont pas obligation de rendre public les litiges en cours.
↑11 Dans le cadre du TCE, les investisseurs européens sont considérés comme étrangers dans les autres pays de l’UE.
↑12 Ibid
↑13 Voir résumé pour décideurs du 3e volet du rapport du GIEC (Page 12, section B4.1
↑14 ERSE admite « sobrecompensação » aos produtores de eletricidade
↑15 Ibid
↑16 Les négociations pour la modernisation du TCE ont démarré en juillet 2020.
↑17 Les membres de ce comité sont listés à partir de la page 4
↑18 Marianne, Climatico, Libération, L’humanité, Le Monde
↑19 Chaque cycle de négociations dure environ une semaine et est précédé par plusieurs réunions multilatérales et bilatérales.
↑20 Ce budget est calculé en considérant une répartition juste du budget carbone restant qui intègre les émissions cumulées de l’UE depuis le début de l’industrialisation et le budget carbone mondial estimé par le GIEC pour éviter un réchauffement de plus de 1.5°C d’ici la fin du siècle avec une probabilité de l’ordre de 83%.
↑21 Ce budget a été estimé par le GIEC à 300 Gt pour une probabilité de l’ordre de 83%
↑22 La clause de survie fait prolonger de 20 ans après la sortie du TCE la protection des investissements déjà faits dans les pays qui en sortent.
↑23 Voir www.endfossilprotection.org pour connaître toutes les mobilisations pour le retrait collectif des pays de l’UE du TCE.
↑24 Voir résumé exécutif du rapport de l’AIE sur les investissements dans le secteur de l’énergie.

source: Bon Pote