La surprenante exigence des hommes d’affaires égyptiens

Le Soir d’Algérie | 17 mai 2021

La surprenante exigence des hommes d’affaires égyptiens

L’Algérie se trouve confrontée à un dossier plus ou moins étrange découlant des pratiques incroyables qui se sont déroulées durant les années Bouteflika. Un groupe cimentier égyptien réclame au pays le versement de 900 millions de dollars et menace de le mener à l’arbitrage international selon un timing qui laisse planer de sérieux doutes sur la finalité de l’affaire.

Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Le groupe cimentier en question n’est autre que le Qalaa Holdings et Asec Cement (sa filiale) qui décide en 2006 d’investir dans le secteur qu’elle maîtrise bien en Algérie. Elle remporte d’abord un premier projet après un appel d’offres lancé par le pays : la construction et l’exploitation d’une nouvelle cimenterie à Djelfa, une région très convoitée en raison de sa proximité avec des sous-sol riches en calcaire, élément essentiel du ciment. Elle investit, également, avec une participation effective de 37%, dans le complexe de Zahana, à Mascara, contrôlé par le GICA (Groupe industriel des ciments d’Algérie) avec droit de gestion. Des informations publiques parues à cette époque font savoir que le Qalaa Holdings avait obtenu un accord de la Société financière internationale (SFI) pour un financement de 24 millions de dollars devant être utilisés pour le projet de la cimenterie de Djelfa. Le temps court, le projet hésite à voir le jour, des informations diffuses font état d’un problème financier auquel se heurte le groupe égyptien. Les Algériens n’en savent pas plus, mais apprennent dix ans plus tard, qu’une procédure de vente est enclenchée. Elle abouti durant la même année. Les nouveaux bénéficiaires ne sont autres que Ali Haddad et les Kouninef. Ces derniers, détenteurs de la KOUGC, sont cependant moins visibles dans les informations rendues publiques à ce moment puisque l’essentiel de l’annonce concerne le patron de l’ETRHB qui venait d’acquérir le projet pour un montant de 60 millions de dollars. L’affaire semble alors avoir pris fin, mais elle ne l’est pas pour autant.

En août 2020, les autorités algériennes sont destinataires d’un courrier émanant d’un cabinet d’avocats new-yorkais réclamant au nom de leurs mandants, Qalaa Holdings et Asec Cement, des indemnités fixées à 900 millions de dollars. Le cabinet en question se réfère à un traité algéro-égyptien signé en 1997 entre les deux États portant sur « l’encouragement et la protection réciproque des investissements ».

Lire aussi: Affaire Djezzy : l’Algérie obtient une victoire définitive contre Sawiris

Il rappelle également et, surtout, que l’Algérie avait consenti à soumettre tout litige avec les investisseurs égyptiens à l’arbitrage international. Que reproche Qalaa Holdings à l’Algérie ? De l’avoir contrainte à abandonner ses projets d’investissements qui se sont soldés par une vente à un prix insuffisant. Le groupe insiste sur le projet de Djelfa qui s’était fixé comme objectif une production de trois millions de tonnes de ciment annuellement. Selon lui, les autorités de l’époque avaient cependant commencé, durant l’année 2009, à revenir sur certains de leurs engagements et mesures prises pour l’encouragement des investissements étrangers dans un « contexte d’hostilité grandissante, de violence envers les investisseurs étrangers, en particulier égyptiens ». Il affirme que le gouvernement alors en place a « détruit le projet de Djelfa par sa conduite de mauvaise foi » caractérisée notamment « par la mise en place d’obstacles réglementaires qui ont contraint les requérants à la vente forcée de leur investissement à Djelfa à un proche du Président Bouteflika ».

Qalaa Holdings dénonce également un travail de sape pour le projet de Zahana. Le « proche de Bouteflika » n’est autre que Ali Haddad, cité nommément et présenté comme étant un homme bénéficiant de « soutiens politiques ». L’Algérie, soutient ce dernier, a enfreint la « clause du traité portant sur l’expropriation » (jugée illégale en les contraignant à une « vente forcée à un proche du Président Abdelaziz Bouteflika (cité nommément là également » à un prix nettement inférieur à sa valeur sur le marché ».

Dans sa correspondance, le cabinet d’avocats new-yorkais rappelle que le traité algéro-égyptien stipule que les « investissements égyptiens en Algérie ne peuvent être expropriés que pour cause d’utilité publique à condition que ces mesures soient prises conformément à des dispositions réglementaires, qui ne soient pas discriminatoires et que les procédures d’expropriation, si elles sont prises, doivent être accompagnées de paiement d’indemnités adéquates et réelles ».

Le groupe égyptien livre en détail les obstacles auxquels il affirme s’être heurté. Le gouvernement a « restreint l’accès d’Asec à des financements en appliquant des lois rétroactives sur le financement en utilisant son contrôle du secteur bancaire public pour imposer des conditions abusives préalables à tout financement du projet de Djelfa, en suspendant le permis d’exploitation minière d’Asec sans motif, en faisant obstacle à l’embauche de constructeurs et en menaçant le groupe de lourdes pénalité s’ils revenaient à leur investissement à Zahana ». Ses avocats exigent le paiement immédiat des 900 millions de dollars auquel cas ils se réservent le droit d’engager une procédure d’arbitrage international « afin d’obtenir une indemnisation intégrale ainsi que le paiement des frais et intérêts y afférents ».

Pour l’heure, aucune information crédible concernant la réponse ou la réaction des autorités algériennes n’est disponible. De nombreuses questions sont cependant nées chez les experts selon lesquels cette affaire pourrait en fait en cacher une autre. Ils s’interrogent sur le timing choisi par le groupe égyptien pour adresser cette requête, c’est-à-dire quatre années après que les faits se sont déroulés et les raisons pour lesquelles seul le nom de Ali Haddad ait été avancé sachant que les Kouninef ont également acheté des actions vendues par les Égyptiens. L’action s’inscrit-elle dans la série de pressions dénoncées régulièrement par les autorités algériennes ou s’agirait-il de tentatives émanant des milieux de l’argent décapités par l’opération anti-corruption menée par le pays ? « Ces milieux de l’argent ont toujours été puissants », affirment enfin des experts, ils ont des relais partout. « Ce qui s’est passé avec Haddad est par exemple édifiant, des personnes travaillant pour son compte ont versé dix millions de dollars à un cabinet de lobbying américain pour tenter de le sortir d’affaire, ces gens sont des spécialistes et peuvent agir de manière très subtile pour parvenir à leurs fins. »

A. C.