La gauche européenne unie pour réformer les tribunaux d’arbitrage internationaux

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Le Monde | 23 février 2015

La gauche européenne unie pour réformer les tribunaux d’arbitrage internationaux

Symboles d’une vision libérale du commerce international, les tribunaux d’arbitrage internationaux (ISDS) existent depuis les années 1960. Ils protègent les entreprises contre les décisions « arbitraires » des Etats qui les accueillent, au risque de remettre en question leur droit à réguler. La gauche européenne a pourtant attendu le 21 février 2015 pour prendre une position commune sur cette question, devenue brûlante depuis qu’il est question de les intégrer dans le futur traité transatlantique entre l’Europe et les Etats-Unis (Tafta/TTIP).

La quarantaine de responsables du Parti socialiste européen (PSE) réunis samedi en sommet à Madrid pour affiner leur doctrine économique et trouver une politique commune face au terrorisme djihadiste en ont profité pour prendre enfin position sur l’ISDS, vilipendé par les parlementaires sociaux-démocrates et défendu tacitement par les chefs de gouvernement de gauche. « Nous avons enfin réussi à créer un consensus dans notre famille sur ce combat », s’est félicité une source européenne à l’issue de ce sommet.

L’ISDS en bref :

Ce mécanisme présent dans de nombreux accords internationaux d’investissement instaure des tribunaux d’arbitrage censés protéger les entreprises victimes d’abus de droit perpétrés par les Etats où elles s’installent. Dans la pratique, plusieurs décisions ont tendu à remettre en cause les législations environnementales, sociales ou sanitaires des Etats qui allaient à l’encontre des intérêts de certaines entreprises. L’Allemagne a ainsi été attaquée pour avoir décidé de sortir du nucléaire, et l’Australie pour sa politique antitabac.


Suèdois, Néerlandais, Danois et Luxembourgeois se sont joints au front constitué début janvier par le couple franco-allemand pour améliorer ce dispositif d’arbitrage courant dans les accords commerciaux, mais de plus en plus controversé. En octobre dernier, une partie d’entre-eux défendaient pourtant encore une position bien plus inflexible.

A défaut de l’écarter complètement des négociations du Tafta/TTIP (et de son petit cousin, l’accord CETA entre l’Europe et le Canada), comme le réclame une bonne partie de la société civile, la gauche européenne souhaite réformer en profondeur ce mécanisme d’arbitrage pour limiter ses dérives. « Nous souhaitons préciser les définitions juridiques floues qui laissent trop de marge d’interprétation aux arbitres, limiter les conflits d’intérêts potentiels des arbitres, pénaliser les dépôts de plainte abusifs des entreprises et mettre sur la table la création d’un mécanisme d’appel des décisions », explique une source européenne. « En bref, le réformer tellement qu’il ne s’agira plus vraiment d’ISDS », décrypte-t-on côté français.

La France souhaite également travailler sur la création d’une cour permanente internationale d’arbitrage, qui serait tenue par des règles plus strictes que les tribunaux d’arbitrage actuels, qui se forment et se défont à chaque affaire.

Après plusieurs mois de silence, le secrétaire d’Etat français au commerce extérieur Matthias Fekl compte depuis le début de l’année sur son alliance avec le ministre allemand de l’économie Sigmar Gabriel pour reprendre l’initiative sur ce dossier. Tous deux souhaitent maintenant convaincre la Commission européenne de rependre leurs propositions, afin de les appliquer aux accords commerciaux, en négociation comme futurs. « A défaut, ces accords seront rejetés par les parlements, qui n’acceptent pas l’ISDS en l’état », prévient régulièrement Matthias Fekl. Mais l’obstacle le plus important pourrait venir des Etats-membres européens dirigés par des conservateurs (Espagne, Royaume-Uni, Irlande), qui restent très attachés à un ISDS fortement protecteur des entreprises. Sans oublier les Etats-Unis, qui jugent satisfaisant l’ISDS tel qu’il se pratique actuellement et souhaitent le conserver tel quel dans le futur traité transatlantique.

On devrait en savoir un peu plus sur l’issue de la partie d’échecs qui se joue actuellement entre Bruxelles, Paris, Berlin et Washington d’ici le printemps : la Commission européenne devrait alors présenter ses nouvelles propositions sur l’ISDS, censées contenter à la fois les sceptiques et les promoteurs de l’arbitrage d’investissement.

Maxime Vaudano

source: Le Monde