Les évêques de l’Union Européenne et des États-Unis publient leurs recommandations concernant le traité transatlantique sur le commerce

La Croix | 20 juin 2016

Les évêques de l’Union Européenne et des États-Unis publient leurs recommandations concernant le traité transatlantique sur le commerce

par Comece

Dans un texte rendu public le 16 juin 2016, les évêques de l’Union européenne (Comece) et des États-Unis d’Amérique présentent leur position commune sur le Partenariat transatlantique de Commerce et d’Investissement (TTIP). Et cela en amont du 14e round de négociations. C’est la première fois de leur histoire que les évêques des deux côtés de l’Atlantique publient une telle position commune sur un sujet politique. Au vu de l’importance des enjeux d’un tel traité de libre-échange – qui va avoir un impact direct sur la vie de près d’un milliard d’êtres humains – ils considèrent comme essentiel « de procéder à une analyse coûts/avantages approfondie d’un point de vue social et environnemental ». Une analyse qui devrait prendre en compte « outre les aspects économiques, les effets réels du projet d’accord pour nos citoyens, nos sociétés et notre planète », estiment les évêques d’Europe et des États-Unis. À la suite des papes Benoît XVI et François, ils estiment que les politiques commerciales « doivent être fondées sur des critères éthiques axés sur l’être humain et avoir pour objectif le bien commun », et de servir l’humanité et en particulier les plus pauvres. « Certains principes doivent sous-tendre l’évaluation de tout accord commercial, y compris du TTIP », expliquent encore les évêques. Particulièrement neuf principes mis en avant sous les intitulés suivants : Durabilité et précaution, Protection du travail, Indigènes, Migration, Agriculture, Développement durable et sauvegarde de la Création, Droits de propriété intellectuelle, Mécanismes de règlement des différends, Participation. La DC

Avant l’aboutissement, l’adoption et la ratification du projet de Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP), il est essentiel de procéder à une analyse coûts/avantages approfondie d’un point de vue social et environnemental. Une telle analyse devrait prendre en considération, outre les aspects économiques, les effets réels du projet d’accord pour nos citoyens, nos sociétés et notre planète. Cette étude objective devra prendre en compte l’impact potentiel du TTIP sur les besoins élémentaires, les composantes fondamentales du bien-être et les droits d’accès et d’opportunité. Le TTIP devra contribuer au bien-être de tous les citoyens, en particulier des plus pauvres. Tous devraient prendre part aux décisions qui influent sur leur vie. Les avantages présumés devront être répartis équitablement, afin de ne pas exacerber les inégalités. En somme, le TTIP devra mener à un monde plus sûr et pacifique, plutôt que d’intensifier les tensions économiques et politiques.

Il est vrai que l’élaboration de politiques destinées à créer un avenir meilleur pour tous et respectueuses des droits des générations actuelles et futures, ne peut être réalisée ni par une réglementation excessive, ni par une déréglementation radicale. Les pactes et traités doivent soutenir le dynamisme social en accordant la confiance aux pouvoirs inventifs de l’esprit et du cœur mais aussi en favorisant la participation équitable de tous les membres de la famille humaine unique.

Les mots adressés par le pape François aux nations du G8 en 2013 s’appliquent au TTIP : « l’objectif de l’économie et de la politique est de servir l’humanité, en commençant par les plus pauvres et les plus vulnérables » (Lettre au premier ministre du Royaume-Uni, M. David Cameron, 17 juin 2013). L’histoire a prouvé que l’accroissement du commerce et de l’investissement ne peut être véritablement bénéfique, qu’à condition qu’ils soient structurés de manière à contribuer à réduire, et non exacerber, l’inégalité ou l’injustice. Les politiques commerciales doivent être fondées sur des critères éthiques axés sur l’être humain et avoir pour objectif le bien commun pour nos nations et pour les citoyens du monde entier. La négociation et la mise en œuvre des accords commerciaux doivent respecter les principes qui favorisent et défendent la vie et la dignité humaine, la protection de l’environnement et la santé publique, et qui promeuvent la justice et la paix dans notre monde.

Certains principes doivent sous-tendre l’évaluation de tout accord commercial, y compris du TTIP :

Durabilité et précaution. Les évêques des USA et de l’UE souhaitent souligner les principes de durabilité et de précaution. L’un des fondements du principe de précaution est de mettre l’accent sur la prévention des dommages. Pour l’autorisation d’un produit ou d’une procédure, il convient de faire preuve de patience jusqu’à ce qu’il y ait suffisamment de preuves scientifiques démontrant qu’il ne présente de danger ni pour les générations actuelles et futures, ni pour l’écologie naturelle.

Protection du travail. La dignité humaine requiert en priorité la protection des travailleurs et de leurs droits. Nous soutenons les droits des travailleurs, y compris le droit de s’organiser, ainsi que le respect des normes de travail adoptées au niveau international. Tout accord doit être accompagné d’un engagement ferme à venir en aide aux travailleurs, à leurs familles et aux communautés, afin qu’ils puissent faire face aux bouleversements à la fois sociaux et économiques que pourrait causer le libre-échange. Une attention particulière doit être portée aux conditions de travail sûres, à des heures de travail raisonnables, au temps libre, au revenu familial décent, et aux autres avantages sociaux légaux.

Indigènes. Les évêques catholiques de par le monde officient souvent parmi les communautés autochtones. Par respect pour leur patrimoine culturel et en vue de leur développement économique, le TTIP doit respecter le patrimoine de ces communautés indigènes, et répartir équitablement les bénéfices de tout commerce avec les communautés dont sont issues les connaissances traditionnelles et les ressources naturelles.

Migration. Notre Église défend depuis longtemps le droit des êtres humains à migrer lorsque les conditions dans leur pays d’origine ne sont pas sûres ou qu’elles leur empêchent de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. Si la migration doit être limitée, nous pensons que cela doit être fait en éradiquant les causes qui poussent les gens à quitter leur pays d’origine. Tout accord de commerce ou d’investissement devrait être conçu de manière à réduire la nécessité d’émigrer.

Agriculture. Nos frères évêques ici et à l’étranger, ainsi que d’autres partenaires avec lesquels nous travaillons, ont exprimé de sérieuses inquiétudes quant à la vulnérabilité des petits producteurs agricoles face à la concurrence des produits agricoles qui bénéficient d’avantages substantiels en raison des politiques et subventions gouvernementales en vigueur. Tout accord devrait promouvoir le secteur agricole des pays en développement et protéger ceux qui vivent dans les zones rurales, en particulier les petits agriculteurs.

Développement durable et sauvegarde de la Création. L’augmentation de l’intégration économique mondiale recèle des avantages potentiels pour tous, mais elle ne doit pas se limiter à réglementer le commerce et l’investissement. Le lien essentiel entre la préservation de l’environnement et le développement humain durable demande une attention particulière à la protection de l’environnement et à la santé des communautés, y compris l’aide aux pays pauvres qui manquent souvent de connaissances ou de ressources techniques suffisantes pour maintenir un environnement sûr. Les accords devraient prévoir d’alléger le poids écrasant de la dette extérieure des pays pauvres, tout en soutenant leur développement pour accroître leur autonomie et garantir une large participation à la prise de décision économique. Le TTIP ne devrait pas permettre que certains produits menaçant le bien commun (comme les armes illicites ou les stupéfiants) fassent l’objet de commerce et d’investissement.

Droits de propriété intellectuelle. Nous sommes également préoccupés par les dispositions en matière de droits de propriété intellectuelle pour les produits pharmaceutiques et l’agriculture. Nous devons tenir compte de la nécessité de l’accès aux médicaments et du progrès agricole pour les populations vulnérables. L’Église envisage les droits de propriété intellectuelle dans le cadre plus large du bien commun et estime que ces droits doivent être en adéquation avec les besoins des plus pauvres. Le principe du bien commun exige non seulement une protection légitime de l’intérêt privé, mais aussi la prise en compte du bien commun local et mondial. Les accords ne peuvent être fondés ou validés sur la seule base des avantages qu’ils présentent pour les entrepreneurs bilatéraux. Les avantages et les coûts pour les tiers, en particulier les pauvres, les plus vulnérables, les jeunes, les personnes âgées et les infirmes doivent également être pris en considération.

Mécanismes de règlement des différends. Nous nous interrogeons sur le bien-fondé d’exiger des parties souveraines aux traités internationaux d’accepter un arbitrage international contraignant sous la forme d’un forum pour le règlement des différends, que ce soit par le biais d’un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) ou d’une juridiction internationale d’investissement, tel que proposé récemment. L’un comme l’autre peuvent conduire à des avantages indus pour les intérêts commerciaux désireux d’exploiter les règles des systèmes arbitraux ou judiciaires et pourraient mener à l’affaiblissement de normes fondamentales en matière d’environnement, de travail et de droits de l’homme. Les intérêts privés ne doivent pas éclipser le bien général. L’impact sur la législation environnementale et sociale, ou sur la santé, l’éducation et les politiques culturelles, doit être étudié avec soin. Une attention excessive à l’harmonisation ou la simplification réglementaire ne peut justifier de porter atteinte aux règlements relatifs à la sécurité adéquate, au travail, à la santé et à l’environnement décrétés au niveau local par des organismes nationaux, étatiques ou régionaux.

Participation. Il est essentiel que tous puissent faire entendre leurs voix dans le cadre de décisions qui les concernent. La dignité humaine exige la transparence et le droit des peuples à participer aux décisions par lesquelles ils sont impactés. Cette participation est particulièrement importante dans le cadre des négociations sur le TTIP et d’autres accords commerciaux. Les secteurs concernés de la société devraient pouvoir participer par le biais de forums et de processus qui assureront que leurs voix soient entendues et leurs intérêts pris en compte dans les accords. La justice doit être appliquée à toutes les phases de l’activité économique ; les canons de la justice doivent être respectés dès le commencement du processus économique et politique, et pas seulement a posteriori ou de manière fortuite.

Dans son exhortation apostolique Evangelii gaudium, le pape François constate : « La crise mondiale qui investit la finance et l’économie manifeste ses propres déséquilibres et, par-dessus tout, l’absence grave d’une orientation anthropologique qui réduit l’être humain à un seul de ses besoins : la consommation. » (n. 55) [1]. Le pape émérite Benoît XVI déclarait quant à lui dans sa lettre encyclique Caritas in veritate : « pour fonctionner correctement, l’économie a besoin de l’éthique ; non pas d’une éthique quelconque, mais d’une éthique amie de la personne » (n. 45) [2]. Notre doctrine place la personne humaine – et en particulier les plus pauvres et les plus vulnérables – au premier plan. Le projet d’accord sur le TTIP devra être jugé selon ces normes élevées.

(*) Les signataires du texte sont : pour les évêques de l’Union européenne le cardinal Reinhard MARX, archevêque de Munich et Freising, président de la Commission des épiscopats de la Communauté européenne ; et pour les évêques des États-Unis d’Amérique Mgr Joseph Edward KURTZ, archevêque de Louisville, président de la Conférence des évêques catholiques des États-Unis. Titre et notes de La DC.


Footnotes:

[1DC 2014, n. 2513, p. 21.

[2DC 2009, n. 2429, p. 776.

source: La Croix