Une minière canadienne poursuit la Colombie

Radio Canada | 27 février 2020

Une minière canadienne poursuit la Colombie

par Anne Panasuk

Une minière canadienne est au centre d’une dispute qui pourrait coûter cher à la Colombie. La compagnie Cosigo Resources poursuit le gouvernement pour avoir créé un parc national sur un territoire autochtone qu’elle souhaitait exploiter.

Les Macunas, un peuple de chasseurs-cueilleurs qui se sédentarise peu à peu, vivent le long du fleuve Apaporis, au coeur de l’Amazonie colombienne. C’est sur ce territoire que la minière Cosigo a obtenu une concession d’or, au grand dam des Autochtones qui craignent l’exploitation minière sur des sites sacrés.

L’équipe d’Enquête est allée à la rencontre de Macunas. Pour les rejoindre, il faut faire quatre heures d’avion depuis la capitale Bogota, puis deux jours de bateau.

Depuis quelques mois seulement, des ampoules éclairent les maisons le soir, alimentées par des panneaux solaires. Les villageois cuisinent sur des feux de bois.

Au début du projet, la minière Cosigo avait obtenu l’appui de différentes communautés autochtones de la région, en promettant des cliniques et des écoles dans les villages où il n’y a ni électricité, ni radio, ni téléphone.

« Cosigo m’a offert de l’argent », explique le grand chef spirituel de la région, Serafin Macuna, rencontré par Radio-Canada.

“ Ils ont dit qu’ils allaient m’amener au Canada. J’ai perdu la tête. J’ai oublié un temps que j’étais un médecin traditionnel, gardien de ce territoire.” Serafin Macuna, grand chef spirituel

La compagnie Cosigo nie avoir offert de l’argent à Serafin. Elle admet toutefois avoir fait venir des Autochtones de Colombie-Britannique et d’Alaska pour expliquer aux Macunas qu’il est possible de faire des affaires avec une minière.

Or, la stratégie de Cosigo s’est retournée contre elle.

« Pour nous, ils n’étaient pas de vrais Autochtones, explique Serafin Macuna. Ils n’ont pas parlé de leur culture. Ils ont surtout parlé de piloter un hélicoptère et d’argent. Alors, on a commencé à se méfier parce que quelque chose n’allait pas. »

Les chefs de la région se sont unis pour refuser l’exploitation de l’or sur leur territoire.

« Il y a trop de mines dans le monde. La planète est malade. Les gens tombent malades parce qu’on extrait l’or de la Terre qui est un être vivant », dit Serafin Macuna. Exploiter l’or serait comme enlever le coeur de la Terre, croit-il.

Un site sacré pour les Macunas se retrouve aussi sur le territoire accordé à la minière canadienne : la Chute de la liberté. Cet endroit est considéré comme le centre du monde. « Les Macunas sont nés ici », explique le jeune Camilo rencontré sur les lieux, qui ajoute que son peuple se considère comme le « gardien non seulement du territoire, mais de la planète ».

Création d’un parc national

En 2009, le gouvernement colombien a finalement cédé à la pression populaire et créé un parc national pour protéger le territoire, écartant du même souffle la minière canadienne.

Mais Cosigo n’avait pas dit son dernier mot : elle a financé un groupe pour s’opposer à la création du parc. La minière fait d’ailleurs présentement l’objet d’une enquête pour ingérence illégale lors d’un processus de consultation.

Cosigo admet avoir financé l’opposition au parc national, mais soutient que c’était légal.

Cette affaire s’est rendue jusqu’à la Cour suprême de Colombie. En 2015, le plus haut tribunal du pays a maintenu la création du parc.

La compagnie réclame maintenant 22 milliards de dollars en dédommagement à la Colombie, même si elle n’a pas sorti une seule pépite d’or de terre. « Cela représente les profits que Cosigo aurait pu réaliser », explique le directeur des opérations de la minière canadienne, Andy Rendle.

« C’est une demande téméraire, une exagération », réagit vivement l’avocat Camilo Gomez qui représente l’État colombien.

La réclamation sera entendue devant un tribunal d’arbitrage international.

Les tribunaux d’arbitrage

Nombreux dans le monde, les tribunaux d’arbitrage internationaux entendent les entreprises qui s’estiment lésées par des décisions gouvernementales.

Ces tribunaux comprennent en général un président et deux co-arbitres qui entendent les réclamations effectuées en vertu de traités comme l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). L’audience et les procédures sont confidentielles, mais les décisions sont rendues publiques.

Les entreprises peuvent poursuivre un pays devant ces tribunaux, mais pas l’inverse.

Parmi les pays développés, le Canada est le plus poursuivi, surtout par des compagnies des États-Unis. L’Américaine Lone Pine Resources poursuit notamment le Canada pour 320 millions de dollars depuis que le Québec a limité l’exploitation du gaz sous le fleuve Saint-Laurent.

Le Canada, paradis des minières

Même si elle ne possède pas de mines au Canada, la compagnie Cosigo Resources a une adresse postale en Colombie-Britannique, qui fait office de siège social. Elle est aussi enregistrée à la Bourse de Vancouver.

Elle est donc officiellement canadienne, même si son PDG vit aux États-Unis et que son actionnaire majoritaire est américain.

Les minières sont attirées par le Canada en raison du taux d’imposition plus faible que dans la plupart des pays développés. Depuis le gouvernement de Stephen Harper, les ambassades ont aussi pour mission d’aider les minières canadiennes à l’étranger.

Plus de 1000 entreprises minières sont inscrites aux bourses de Toronto et de Vancouver, même si la grande majorité d’entre elles n’opèrent qu’à l’étranger.

source: Radio Canada