Sentence Micula : un tribunal condamne la Roumanie à payer 250 millions de dollars

Les Echos | 14 avril 2014

Sentence Micula : un tribunal condamne la Roumanie à payer 250 millions de dollars

Marie Stoyanov

Le 11 décembre 2013, un tribunal arbitral constitué sous l’égide du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) condamnait l’Etat roumain à verser aux frères Micula, citoyens suédois ayant investi dans la distribution alimentaire et de boissons, le montant de 250 millions de dollars de dommages et intérêts.

Ces dommages et intérêts ont été versés au motif que l’Etat roumain avait violé son obligation de réserver à ces investisseurs un « traitement juste et équitable », tel que défini par le traité bilatéral d’investissement conclu entre la Suède et la Roumanie en 2003.

Le différend soumis au tribunal arbitral est né de la révocation par la Roumanie, en 2005, d’un programme (mis en place en 1999) destiné à favoriser les investissements dans certaines régions défavorisées du pays, dans l’une desquelles les frères Micula avaient investi, et consistant notamment dans l’octroi d’exonérations fiscales diverses.

Les investisseurs soutenaient en particulier qu’une telle révocation était contraire aux engagements pris par la Roumaine en 1999 de maintenir ce programme pour une période d’au moins dix ans, ce qui avait eu pour effet de frustrer leurs « attentes légitimes » et, partant, de porter atteinte au « traitement juste et équitable » de leur investissement garanti par le traité bilatéral d’investissement. La Roumanie estimait, quant à elle, qu’il ne pouvait lui être fait grief d’avoir déçu de quelconques attentes, étant donné que le maintien de ce programme d’encouragement aux investissements était contraire au droit communautaire. Selon la Roumanie, la révocation d’un tel programme était ainsi raisonnable et inévitable dans le contexte de l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne (UE).

Fait notoire, la Roumanie était soutenue dans son argumentaire par la Commission européenne, laquelle avait obtenu l’autorisation de participer à la procédure arbitrale en qualité d’ amicus curiae. La Commission était déjà intervenue comme amicus curiae dans les affaires AES et Electrabel ( [1]), introduites à l’encontre de la Hongrie sur le fondement du Traité sur la Charte de l’énergie par des investisseurs ressortissant d’Etats membres de l’UE, et dans le cadre desquelles les engagements internationaux de la Hongrie justifiaient ses actes par l’existence d’un conflit avec ses obligations communautaires dans le contexte de la libéralisation du marché de l’électricité. Dans le cadre de ces trois affaires, la Commission a défendu, sur le fond, la position que les traités bilatéraux intracommunautaires devaient être interprétés à la lumière du droit communautaire et que, si les engagements internationaux d’un Etat étaient incompatibles avec ses obligations communautaires, alors ces dernières devaient prévaloir.

Le principal intérêt de la décision rendue dans le cadre de l’affaire Micula réside dans l’approche prise par le tribunal arbitral concernant la place à réserver au droit communautaire dans le cadre de la résolution d’un différend issu d’un investissement intracommunautaire. En effet, bien que le tribunal arbitral ait considéré que le contexte lié à l’adhésion de la Roumanie à l’UE devait être pris en considération dans le cadre de l’interprétation des garanties prévues par le traité bilatéral d’investissement, il a néanmoins conclu que la Roumanie avait violé son obligation de réserver aux investisseurs un traitement juste et équitable en faisant naître auprès de ces derniers l’attente légitime qu’elle ne révoquerait pas son programme de promotion économique avant une période de dix ans.

En rejetant ainsi l’idée qu’un Etat puisse se fonder sur ses obligations communautaires pour se soustraire à ses obligations au titre d’un traité bilatéral d’investissement (et explicitement reléguant ainsi toute question d’incompatibilité avec l’ordre public communautaire au stade de l’exécution de la sentence), le tribunal arbitral semble prendre le contre-pied d’un autre tribunal arbitral CIRDI qui, dans le cadre de l’affaire Electrabel, avait notamment considéré qu’en cas de conflit entre les obligations communautaires d’un Etat et ses obligations internationales, ces dernières devraient s’effacer au profit du droit communautaire, le droit communautaire étant lui-même source de règles de droit international.

Précisant les interactions entre le droit des investissements et le droit communautaire, cette décision ne manquera pas d’ouvrir de nouvelles perspectives aux investisseurs européens dans le cadre de contentieux, actuels ou futurs, liés à des investissements intracommunautaires.


Notas:

[1Marie Stoyanov conseille Electrabel dans cet arbitrage

Fuente: Les Echos