Affaire Ioukos : le Kremlin remporte une nouvelle manche

Les Echos | 28 juin 2017

Affaire Ioukos : le Kremlin remporte une nouvelle manche

par ISABELLE COUET

Paris lève une saisie opérée par les anciens actionnaires du groupe pétrolier.
Et s’en remet à la Cour de justice européenne sur le fond du dossier.

Après le terrain de l’église orthodoxe du quai Branly, l’affaire Roscosmos est l’une des plus emblématiques de la bataille que se livrent en France les anciens actionnaires de Ioukos et Moscou. Le Kremlin vient de remporter une nouvelle manche en obtenant de la cour d’appel de Paris le déblocage des fonds dus par Arianespace au fabricant de lanceurs Soyouz. A deux reprises, les anciens propriétaires du groupe pétrolier russe ont cherché à mettre la main sur des créances d’un montant de 300 millions d’euros dues par Arianespace à l’agence spatiale russe, ce qui a empêché cette dernière d’être payée. L’affaire a fait grand bruit et pris un tour politique, lorsque la direction de Roscosmos a écrit au Premier ministre, Manuel Valls, à l’automne dernier, accusant la France de violer le droit international. Dans ce courrier, le directeur général de l’agence russe n’hésitait pas à menacer Paris de représailles si la justice française confirmait les saisies en question.

Une affaire à 50 milliards de dollars

La décision de la cour d’appel permet donc d’apaiser un peu les tensions entre Paris et Moscou. Tout en satisfaisant la partie russe, la cour rejette les demandes de dommages et intérêts à l’encontre des anciens propriétaires de Ioukos.

Ce jugement ne sonne pas la fin de la chasse aux biens de la Russie sur le territoire français. Quatorze immeubles, dont celui de l’agence de presse Novosti, sont notamment concernés. En effet, la France reconnaît pour l’instant la décision du tribunal d’arbitrage de La Haye, qui a fait l’effet d’un coup de tonnerre le 18 juillet 2014 : la Russie a été condamnée à verser la somme record de 50 milliards de dollars aux anciens actionnaires de Ioukos. Les arbitres ont estimé à l’unanimité que, via des redressements fiscaux, Moscou avait poussé à la liquidation la compagnie détenue à l’époque par Mikhaïl Khodorkovski et s’était approprié ses actifs. Comme le Kremlin n’a jamais accepté cette sentence et a refusé de payer, la partie adverse a lancé d’innombrables procédures de saisies dans le monde.

Mardi 27 juin, la cour d’appel de Paris devait justement rendre une décision susceptible de porter un coup à ces opérations. Elle devait indiquer si la sentence de la cour d’arbitrage de La Haye est toujours reconnue dans l’Hexagone. Car, contrairement à d’autres pays, la France ne s’est pas alignée sur le tribunal local néerlandais qui, en 2016, a annulé la décision d’arbitrage.

Mais la cour d’appel a pour l’instant renoncé à statuer, laissant aux parties le soin de se prononcer sur l’opportunité de saisir la Cour de justice de l’Union européenne. Objectif : éclaircir les nombreuses zones d’ombre liées à l’interprétation du traité sur la Charte de l’énergie, qui est au fondement même de l’affaire. C’est en vertu de ce traité sur les investissements étrangers - signé par la Russie mais non ratifié par la Douma - que les ex-actionnaires ont plaidé l’expropriation.

L’affaire Ioukos, qui a débuté il y a plus de dix ans et a mobilisé des armées d’avocats, est donc loin d’être terminée. L’année 2018 promet déjà d’être riche en rebondissements.

source: Les Echos