Victoire du Salvador contre une minière canadienne

Le Devoir | 15 octobre 2016

Victoire du Salvador contre une minière canadienne

par Boris Proulx

Une poursuite de 300 millions de dollars intentée par l’entreprise minière Pacific Rim Mining Corporation contre le Salvador a été défaite, vendredi, par un arbitrage du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), un organe de la Banque mondiale.

Cette cause, emblématique des problèmes créés par les accords de protection sur l’investissement, ravive les critiques altermondialistes contre l’Accord économique et commercial global (AECG) que le Canada est sur le point de signer avec l’Union européenne.

La plainte originale contre le gouvernement salvadorien date de 2009. La multinationale basée à Vancouver s’était à l’époque sentie lésée par le blocage de toute activité minière dans le pays, aux prises avec de graves problèmes de pollution de l’eau. Pacific Rim, et sa poursuite, a par la suite été rachetée par l’australo-canadienne OceanaGold en 2013.

Il s’agit d’un soulagement pour le Salvador, l’un des États les plus pauvres du continent américain. La bataille aura duré sept ans et coûté à son trésor public quelque 13 millions de dollars en frais juridiques, estime le groupe MiningWatch.

Même si, dans ce cas précis, le Salvador a gagné sa cause sur toute la ligne, y compris un remboursement de huit millions de dollars américains en frais d’avocat, le pays a grandement souffert pendant les procédures, selon les militants du Conseil des Canadiens.

« Durant sept ans […], on a vu l’effet sur les politiques publiques : des projets de loi sur l’environnement n’ont pas pu avancer, et le mécanisme qui a permis la poursuite est toujours en place », a indiqué au Devoir la porte-parole, Meera Karunananthan.

Selon elle, la poursuite envoie un message hostile aux partenaires du Canada, selon lequel les entreprises canadiennes utiliseront les traités de protection des investissements contre l’intérêt public des plus petits pays.

Plus de poursuites contre des pays

Une entreprise qui décide de poursuivre un État pour l’adoption de lois de protection environnementale, cela n’a rien d’inusité. Au contraire, précise Rémi Bachand, professeur au Département des sciences juridiques de l’UQAM, plus de 3000 accords de libre-échange ont été signés par les pays du monde afin d’accorder aux entreprises privées le droit de les traîner devant la justice. De plus en plus, les multinationales ont un éventail de choix quant aux avenues disponibles pour poursuivre un gouvernement.

« Ces mesures sont tant la carotte que le bâton : on promet aux pays que, grâce à la protection des investisseurs étrangers, il y aura plus d’investissements dans le pays. De l’autre côté, on l’impose comme une condition sine qua non de la signature d’un accord de libre-échange », explique le professeur de droit économique international.

Le militant Pierre-Yves Serinet, du Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC), soulève les risques de ce genre de dispositions, incluses notamment dans le traité de libre-échange avec l’Union européenne, encensé par Philippe Couillard, Justin Trudeau et leur homologue français, Manuel Valls. « Le pire, c’est qu’on tente actuellement d’élargir cette justice parallèle, pour le bénéfice des transnationales, à l’ensemble de la planète », peut-on lire dans un communiqué.

Sur le site Web d’Affaires mondiales Canada, cette affirmation est toutefois classée comme un « mythe » sur l’AECG. « Aucune disposition des accords de libre-échange auxquels le Canada est partie n’empêche les gouvernements d’adopter des lois et des règlements dans l’intérêt public, notamment dans les domaines de l’environnement, du travail, des soins de santé et de la sécurité. »

Selon le professeur Rémi Bachand, le problème réside dans l’« effet paralysant » dont sont maintenant affligés les pays, soit la crainte d’adopter des lois qui risquent d’engendrer des poursuites, à cause des accords auxquels ils ont adhéré.

« Au final, quand un État se fait poursuivre, ce sont nos impôts. Quand il y a une victoire des compagnies, c’est de l’argent qui va dans les poches des investisseurs seulement. »

source: Le Devoir