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Veblen | 17 septembre 2020
Au-delà de la politique de Bolsonaro, c’est le contenu même de l’accord UE-Mercosur qui promet une catastrophe environnementale
par Mathilde Dupré
La commission d’experts a parlé : hausse annuelle de la déforestation de 5% pendant 6 ans mais en réalité de 25% selon le chiffre retenu par l’Institut Veblen et la FNH, entrée facilitée sur le marché européen de denrées produites avec des pesticides interdits dans l’UE, risque d’affaiblissement des standards environnementaux et sanitaires européens pour des gains économiques très faibles, sans commune mesure avec les dégâts sur le climat et la biodiversité … Sur ces bases, et quel que soit le président brésilien en fonction, la France doit bloquer cet accord.
Alors que la Commission d’experts chargée d’évaluer les impacts écologiques du projet d’accord de commerce entre l’UE et les pays du Mercosur rendra son rapport vendredi 18 septembre, l’Institut Veblen et la Fondation Nicolas Hulot appellent solennellement la France à exiger son abandon pur et simple. Les conclusions de la commission sont en effet sans appel : au-delà de la politique de Jair Bolsonaro, c’est la nature même du projet d’accord visant à promouvoir les exportations de viande du Mercosur en échange de voitures, de machines et de produits chimiques européens, sans aucune obligation environnementale qui entraînera une catastrophe pour le climat et la biodiversité.
Les pays européens sont déjà responsables de plus du tiers de la déforestation mondiale liée au commerce des produits agricoles. Du seul fait de la hausse de la production de viande bovine prévue dans l’accord, la déforestation dans le Mercosur pourrait ainsi augmenter d’au moins 25% par an au cours des six prochaines années. En effet le chiffre de 5% mis en avant par la Commission ne prend en compte que la surface de déforestation nécessaire pour élever le morceau d’aloyau (exporté en Europe) et non la bête entière. Et malgré l’interdiction dans l’UE de 27% des 190 principes actifs autorisés au Brésil, l’accord facilitera encore l’entrée sur le marché européen des denrées agricoles traitées avec ces pesticides interdits. Ces conclusions rejoignent largement les analyses conduites depuis plusieurs années par l’Institut Veblen et la Fondation Nicolas Hulot.
Si un accord de commerce doit voir le jour entre ces deux régions du monde, il doit être repensé et construit sur des bases complètement différentes, compatibles avec le Green Deal européen et les enjeux planétaires. En particulier, la réduction des barrières commerciales doit être strictement conditionnée au respect d’un certain nombre de critères strictes en matière sanitaire et environnementale, comme suggéré dans le rapport. Et toutes les dispositions qui pourraient conduire à affaiblir les normes existantes ou en cours d’élaboration doivent être supprimées.
– Zoom sur quelques points édifiants du rapport de la commission Ambec :
1. Déforestation et biodiversité :
Explication : Le rapport estime que la hausse des exportations de viande bovine engendrée par l’accord à 53 000 tonnes par an et précise qu’il existe aussi une estimation haute à 98 000 tonnes mais qui ne fait pas consensus au sein de la Commission. Selon l’hypothèse basse consensuelle, cela représente une hausse de surface de la production d’environ 3,6 millions d’hectares. Mais le rapport précise aussi que la viande exportée sera principalement de l’aloyau, c’est à dire les morceaux dits « nobles », qui représentent 19,5% d’une carcasse typique de jeune bovin du Mercosur, et que le reste de la viande produite sera valorisé sur d’autres marchés, en plein essor, en particulier la Chine. Il suggère donc pour la plupart des données de ne retenir qu’une surface théorique de 700000 hectares, soit 19,6 % du total correspondant à la partie « aloyaux » des animaux ainsi élevés, une façon de minorer l’impact réel sur l’environnement.
2. Climat et émissions de GES
3) Normes sanitaires divergentes
4) Risque d’affaiblissement des standards européens
5) Des contrôles sanitaires insuffisants et qui pourraient encore être réduits
Ce rapport est loin d’être exhaustif et n’explore pas dans le détail l’ensemble des sujets sensibles. La question de l’impact sur la biodiversité de la hausse prévue des exportations européennes de pesticides (y compris des pesticides interdits dans l’UE) dans les pays du Mercosur n’est par exemple pas examinée. Certains produits tels que le soja ou les produits issus du secteur extractif ne sont pas abordés. Le rapport n’évoque pas non plus les impacts de cet accord sur les droits humains qui sont documentés dans les travaux de l’Institut Veblen et de la FNH et de nombreuses autres ONG.
Les travaux de l’Institut Veblen sur cet accord :
Juin 2019 : Lettre ouverte signée par plus de 340 organisations demandant à l’Union européenne d’interrompre immédiatement les négociations commerciales avec le Brésil
Octobre 2019 : Contribution de l’Institut Veblen et de la FNH transmise à LSE consulting et à la Commission européenne sur le projet de rapport intermédiaire d’étude d’impact sur le développement durable de l’accord
Nov 2019 : Analyse du contenu de l’accord par l’Institut Veblen et la FNH, Un accord perdant-perdant. Analyse préliminaire de l’accord de commerce entre l’UE et le Mercosur.
Juin 2020 : Dépôt d’une plainte par l’Institut Veblen, la Fondation Nicolas Hulot, Clientearth, Fern et la Fédération Internationale des droits de l’Homme auprès de la médiatrice de l’UE pour non respect par la Commission de son obligation légale de garantir que cet accord n’entraînera pas de dégradation sociale, économique et environnementale, ni de violation des droits humains.
Juillet 2020 : Ouverture d’une enquête par la médiatrice de l’UE, suite à la plainte déposée par les 5 associations.
Juillet 2020 : Nouvelle contribution de l’Institut Veblen, ClientEarth, Conservation International et Fern transmise à LSE Consulting et à la Commission européenne sur les insuffisances du projet de rapport final de l’étude d’impact sur le développement durable.
Rappel du calendrier des négociations :
1999 : Début des négociations entre l’UE et les pays du Mercosur.
2009 : Publication de la première évaluation d’impact sur le développement durable.
2010 : Reprise des négociations après une période de suspension et nouvel élan en 2016.
29 Juin 2019 : Annonce de la clôture des négociations commerciales entre l’UE et les pays du Mercosur à l’occasion du Sommet du G20 au Japon. Emmanuel Macron qualifie alors le projet de « bon accord commercial, bon pour nos entreprises et nos emplois ».
23 Août 2019 : En marge du sommet du G7 à Biarritz, reconnaissance par Emmanuel Macron que la France a “une part de complicité” dans les incendies qui ravagent l’Amazonie et annonce « qu’il ne signera pas le Mercosur en l’état ».
29 juin 2020 : Déclaration d’Emmanuel Macron devant la Convention citoyenne pour le Climat : “c’est pour cela que sur le Mercosur, j’ai stoppé net les négociations, et les derniers rapports qui ont pu nous être soumis me confortent dans cette décision”.
2 juillet 2020 : Déclaration du haut-représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères, Josep Borrell, se félicitant de la finalisation des négociations de l’accord entre l’UE et le Mercosur.
22 Juillet 2020 : Publication du projet de rapport de l’étude d’impact sur le développement durable de LSE consulting